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Après un an, les bus gratuits de Dunkerque espèrent ouvrir la voie

Depuis sa mise en place dans la communauté urbaine, et pour un coût limité, la gratuité est un succès. Plusieurs villes, dont la capitale, sont intéressées.
Dunkerque est la plus grosse ville de France à avoir mis en place la gratuité des bus. (Photo Cyril Zannettacci pour Libération)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 30 août 2019 à 20h16

Dans la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), le bus gratuit cartonne. De janvier à juin, 65 % d'augmentation de fréquentation en semaine. Et le week-end, c'est 125 %. «C'est juste ahurissant, s'enthousiasme le président de la CUD et maire divers gauche de Dunkerque, Patrice Vergriete. On espérait doubler la fréquentation d'ici trois à quatre ans, et on est déjà presque à notre objectif en un an.» Après avoir été expérimentée le week-end, la gratuité totale a été mise en place le 1er septembre 2018 : la communauté urbaine, avec ses 200 000 habitants et ses 17 communes, est la plus grande d'Europe à tenter le challenge, hors Tallinn, la capitale estonienne, qui réserve la gratuité à ses seuls résidents. Elle a pu se le permettre car la billetterie ne représentait que 10 % du coût total des transports en commun, soit 4,5 millions d'euros. L'effort n'était donc pas si grand.

Tout le monde se déplace donc gratos : «Le plus drôle, ce sont les touristes qui demandent où ils doivent payer. Eh bien, on monte et on descend, c'est tout. Et on peut en prendre quinze dans la journée si on veut», vante Amélie, 23 ans, agent administratif. La communauté urbaine a aussi investi pour améliorer le réseau, pour 10 millions d'euros de plus par an : «La gratuité est un produit d'appel, explique Patrice Vergriete. C'est ce qui provoque le choc psychologique mais pas ce qui fidélise. Si le service n'est pas à la hauteur, les gens reprennent leurs habitudes.»

Révolution. Sur les lignes les plus denses, des bus passent désormais toutes les dix minutes, des couloirs express leur sont réservés avec passage automatique au vert quand ils arrivent ; et le centre-ville a été repensé pour diminuer l'espace dédié à la voiture. Le parvis de la gare est devenu piétonnier, avec un abri sécurisé pour les vélos, comme la place Jean-Bart, le cœur de la vie dunkerquoise. Une vraie révolution. «Dunkerque a été rasé pendant la Seconde Guerre mondiale, rappelle Patrice Vergriete. La ville a été reconstruite au moment de la voiture triomphante.» Dans cette agglomération étendue, traversée par l'autoroute, la bagnole était un réflexe : «En 2015, 67 % des déplacements se faisaient en voiture sur la CUD, le bus atteignait péniblement les 5 % et le vélo les 2 %», rappelle le chercheur à Sciences-Po Lyon Maxime Huré.

En attendant la prochaine enquête sur les déplacements des ménages, l'étude de l'Observatoire des villes du transport gratuit, dont Maxime Huré est l'un des auteurs, montre que la moitié des nouveaux utilisateurs du bus roulaient avant en voiture. Amélie confirme : «Depuis la gratuité, je ne la prends plus. C'était la misère pour se garer et j'économise 20 euros de gazole par semaine.»Idem chez Amandine, 21 ans, animatrice dans les écoles : «Je n'ai plus de voiture depuis un accident et je n'ai pas les moyens d'en racheter une. Pour l'instant, le bus, c'est suffisant, pratique et économique.» Elle est aussi sensible à la cause écolo, contente d'en prendre sa part et de voir moins de voitures en ville.

A rebours. «Et 10 % de ces nouveaux utilisateurs ont vendu leur deuxième voiture, souligne Vergriete. Ils en gardent juste une, pour l'élément de liberté.» Le maire ajoute : «Toute ma philosophie politique est fondée là-dessus : si on ne récompense pas les comportements vertueux sur le plan écologique par une amélioration du pouvoir d'achat, ça ne marche pas.»

On ne pourra pas le taxer d'opportunisme face aux gilets jaunes, la mesure était l'une de ses promesses de campagne en 2014. A rebours de ceux qui imaginaient la gratuité seulement possible dans les petites communes. «Dunkerque a envoyé un signal aux autres villes, remarque Maxime Huré. Depuis un an, nous avons reçu plus d'une centaine de visites, dont celle d'Anne Hidalgo, la maire de Paris.» Clermont-Ferrand, Grenoble, Calais, Amiens y songent aussi sérieusement. «J'ai toujours été frappé par la faiblesse du débat sur la gratuité dans les transports publics, déplore Patrice Vergriete, ancien urbaniste. On vous dit que cela amène l'incivilité, alors que c'est l'inverse : il y a plus de monde dans les bus, donc plus de contrôle social.» Surtout, la fin de la stigmatisation des fraudeurs apaise l'ambiance. «C'est vrai, il y a moins de stress», confirme Nathalie, conductrice de bus depuis vingt-six ans.

L'autre enseignement fort de cette expérience est la croissance de la mobilité. Un tiers des déplacements générés par le bus gratuit n'existaient pas auparavant, surtout chez les jeunes et les personnes âgées. Les premiers prennent leur indépendance et sollicitent moins leurs parents pour leurs déplacements personnels. Les autres sortent plus facilement, comme Jacques, 72 ans, ancien ouvrier, en route pour Auchan, qui connaît par cœur le réseau et le prend dès qu'il a des envies de balade. «Je mets 10/10 au bus gratuit !»