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Libération
Reportage

A Saint-Ouen, «on demande juste un logement décent»

Un mois après leur expulsion du squat qu’ils occupaient, quelque 150 réfugiés latino-américains et leurs soutiens ont manifesté ce samedi matin à Saint-Ouen. Leurs revendications : être relogés et leurs enfants scolarisés.
A Saint-Ouen, le 6 août. Près de la mairie, des membres de la communauté sud-américaine improvisent un campement dans la rue, aidés par des associations, après leur expulsion du squat de la rue du Docteur-Bauer. (Denis ALLARD/Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 31 août 2019 à 16h24

Clope à l'oreille, elle harangue les manifestants munie d'un petit mégaphone customisé. Ses slogans, comme «So-so- solidarité avec les réfugiés !» ou «El pueblo unido jamás será vencido» («Le peuple uni ne sera jamais vaincu», en français), sont aussitôt repris en chœur, transformant le calme habituel de l'hyper-centre audonien en joyeux vacarme. Elle, avec son tee-shirt rouge et ses tongs, c'est Chanel, 39 ans, une des voix des quelque 150 réfugiés et migrants latino-américains expulsés fin juillet d'un squat rue du Docteur-Bauer. Depuis cette date et en l'absence de propositions pérennes d'hébergement, 80 d'entre eux - dont une vingtaine d'enfants - ont alors installé un campement de fortune devant la mairie. Et comme l'édile UDI, William Delannoy, refuse tout dialogue avec les délogés, les revoilà mobilisés ce samedi matin à travers les rues de Saint-Ouen bardés de soutiens (l'association Droit au logement notamment, à l'initiative de cette marche, et des habitants) histoire d'être entendus une bonne fois pour toutes. «Hier, le 115 (Samu social, ndlr) a encore refusé des chambres à des familles qui tentaient de les appeler depuis deux heures, soulève Chanel, sur le sol français depuis 1997. Mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras.»

La crainte d’une évacuation prochaine

Dans le cortège, Napoleon, un demandeur d'asile colombien, est dans le même état d'esprit. «La vie à la rue n'est pas facile alors on essaye de faire bon ménage tous ensemble», déplore, en espagnol, cet ouvrier dans le bâtiment, 40 ans. Il raconte qu'il a fui Barranquilla, en raison des nombreuses menaces contre sa personne, et qu'il est arrivé en France il y a à peine quatre mois. Avant de conclure : «On demande juste un logement décent et à un bon prix. On a déjà un travail ici.» Avec sa chasuble jaune fluo reconnaissable de loin, Laurent Gardin, responsable du DAL à Saint-Ouen, regrette pour sa part l'absence de dialogue avec les autorités locales. Il souhaiterait également que tous les enfants des expulsés puissent être scolarisés - il en reste une dizaine à inscrire d'ici à lundi. «Depuis un mois, la vie s'est installée dans le camp, mais le minimum, comme des toilettes, ne leur a même pas été accordé par la mairie, précise par exemple le militant associatif. Des familles un temps hébergées à l'hôtel sont aussi revenues vivre dans des tentes. Alors avec la rentrée scolaire, lundi, on craint une évacuation. C'est pour cela que l'on renouvelle notre demande d'une table ronde avec le maire et le préfet.»

«Une vraie chaîne de solidarité»

Des habitants venus témoigner leur solidarité, à l'instar de François Sikirdji, 67 ans, l'ancien directeur du conservatoire de Saint-Ouen, sont tout aussi choqués par le sort de ces exilés. «Je reçois "L'Humanité" tous les jours et j'ai découvert la situation en lisant le journal pendant mes vacances. Je m'en suis inquiété», explique le retraité séquano-dyonisien. Il ajoute : «Mais cela ne pouvait qu'advenir car le maire a toujours montré son intransigeance envers les étrangers.» «Ce qui nous a choqués, c'est que les lieux que ces réfugiés occupaient étaient vacants, il n'y avait pas urgence à les évacuer», pense de son côté Vincent Chutet-Mézence, président du collectif Red Star Bauer, une des associations de supporters du club de foot centenaire. Avant cette manifestation, leur engagement s'est d'ailleurs traduit en une collecte de denrées alimentaires et des places pour assister à la dernière rencontre de l'équipe audonienne contre Dunkerque la semaine passée. «Il y a une vraie chaîne de solidarité, se réjouit d'ailleurs Aliénor Turpin, une «citoyenne» du collectif Saint-Ouen se rebiffe, venue en aide dès les premiers jours du campement. Entre 10 et 20 personnes viennent chaque jour pour déposer un pack d'eau et discuter. Malheureusement, je pense qu'ils vont démanteler le camp dès demain.» Une crainte partagée par les réfugiés latinos de Saint-Ouen, qui néanmoins ne veulent surtout rien lâcher.