On oublie tout, et on repart à zéro ? Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, envoie des signaux tous azimuts depuis quelques jours. Cette rentrée des classes, ce lundi matin, pour 12 millions d'élèves et 1 million d'agents, il la souhaite «joyeuse», dans «un état d'esprit collectif et d'optimisme», et avec «l'envie de réussir».
Le nouveau Blanquer est doux comme un agneau, attentionné envers les enseignants (il promet de les augmenter, de s'intéresser à leur «bien-être») et se montre désormais à l'écoute des responsables syndicaux. Frédérique Rolet, la secrétaire générale du Snes-FSU, le syndicat majoritaire des profs de collège et lycée, en est encore abasourdie. Le ministre l'a reçue, en personne, deux fois dans la même semaine… Jusqu'ici, elle ramait pour avoir un rendez-vous avec les membres de son cabinet. Jean-Rémi Girard, son collègue du Snalc, constate aussi le changement : «Le ministre est plus avenant, plus agréable, ce qui facilite évidemment la discussion.» Il ajoute, pas tout à fait dupe : «On prend acte de sa volonté de discuter, mais on a besoin de gages et d'évolutions qui ne soient pas que cosmétiques.»
Claque
Le ministre promet la poursuite active des négociations sur les retraites et les salaires. Et semble remiser les dossiers sensibles, comme le chantier de l'éducation prioritaire ou encore la réforme du calendrier des vacances scolaires. Il veut désormais «prendre le temps», mettre en place des «comités de suivi» des réformes lancées pour «être à l'écoute».
Dans les pas d'Emmanuel Macron, Blanquer change donc de cap, et de stratégie de communication. Il n'a pas trop le choix. Jusqu'ici chouchou du gouvernement, il s'est pris une claque : il a perdu 16 points dans un sondage publié jeudi par France Info et le Figaro, passant de 62 % d'opinions favorables en février 2018 à 46 % aujourd'hui. Avec les enseignants, la partie est plutôt mal engagée. L'année dernière a été agitée et s'est très mal terminée avec une crise inédite au moment du bac.
Celle-ci couvait en réalité depuis des mois. Comme le rappelait une enseignante rencontrée vendredi à Montauban, «la grève du bac n'est pas arrivée en un coup. Il y a eu de nombreux épisodes avant, et à chaque fois le ministre refusait de nous entendre. Il restait silencieux.» Tout au long de l'année, des profs se sont en effet mobilisés, en dehors des syndicats, pour dénoncer cette réforme des lycées, qui s'imbrique dans celle de Parcoursup. «Les deux sont dans la même logique. On détricote le caractère national du bac en le remplaçant par du contrôle continu. Le bac n'aura plus la même valeur selon le lycée d'origine, et la sélection se fera à partir des notes et de la réputation du lycée», ont-ils dit sur tous les tons.
Cassure
En parallèle, dans le primaire, la mobilisation a été forte contre le projet de loi sur l’école de la confiance. Assez disparate et d’apparence inoffensif (à l’instar de la scolarisation obligatoire à 3 ans), ce texte contenait en réalité des mesures modifiant l’école en profondeur. Comme la création des Etablissements publics de savoirs fondamentaux, qui visaient à réunir sous une direction unique primaire et collège. Avec le mouvement de grève, la mesure a été retirée. Une victoire pour les profs : pour la première fois, le ministre reculait sous la pression.
Quelques semaines après, la crise du bac, latente, éclatait. Au pied levé et dans une certaine improvisation, des professeurs ont décidé de ne pas rendre les notes du bac à la date prévue. Plutôt que de décaler la publication des résultats de quelques jours, Blanquer a fait preuve d'autorité, annonçant qu'à la place des notes manquantes, serait prise en compte la note obtenue dans la matière pendant l'année. Concrètement, donc, tous les candidats au bac 2019 n'ont pas été traités de la même manière. La suite de l'histoire, la façon dont les choses se sont déroulées, avec des jurys à la limite de la légalité, a révolté l'ensemble des enseignants. «Qu'ils aient fait grève ou non, les collègues n'ont pas forcément une idée différente de la politique menée par le ministre. L'épisode des copies du bac a laissé des traces», assure Catherine Nave-Bekhti, Sgen-CFDT (minoritaire).
Frédérique Rolet insiste : «La séquence bac a beaucoup choqué. Ils ont touché au cœur du métier.» La cassure est-elle aujourd'hui dépassable ? Si l'on en jauge l'ambiance dans la salle des profs de Montauban, la réponse est non. Mais Frédérique Rolet, comme les autres, seront à la table des négociations : «Nous ne boycotterons pas, les avancées sur les salaires et les retraites sont trop importantes.»