Menu
Libération
Rentrée des médias

Europe 1 : une radio toujours en rade

Après plusieurs saisons en berne, la station du groupe Lagardère essaie de reconquérir ses auditeurs en valorisant ses talents maison. Une reprise en main qui suscite des interrogations, certains salariés s’inquiétant de «jeux d’influence» à sa tête.
Dans un studio d’Europe 1, en 2013. (Photo Vincent Boisot. Riva Press)
publié le 1er septembre 2019 à 19h26

Il y avait longtemps qu’on n’avait pas entendu un mot positif dans la bouche d’un salarié d’Europe 1. Tout finit par arriver. «Cette rentrée nous a mis un petit coup de boost au moral», confie l’un d’eux, qui veut rester anonyme. En interne, les débuts de Matthieu Belliard, nouveau matinalier de la radio du groupe Lagardère, sont jugés prometteurs. «On trouve sa tranche plutôt réussie, bien calibrée, avec des rendez-vous précis. Il est arrivé il y a un an, mais on a rapidement vu son talent», estime une journaliste. «Belliard est un très bon journaliste. Avec lui, on revient à une antenne plus conforme, plus traditionnelle. On revient à la réalité après la douche froide de l’an dernier, affirme une figure de la station, qui ne veut pas apparaître publiquement. Ce n’est plus un animateur de divertissement qui pilote la matinale.» Une allusion à son prédécesseur, Nikos Aliagas, qui a laissé un souvenir mitigé au sein de la rédaction.

La star de TF1 n'a pas permis de faire remonter les audiences, en chute libre depuis plusieurs années. Europe 1 a terminé la saison à 5 % d'audience cumulée, soit 2,7 millions d'auditeurs quotidiens. Loin, très loin de France Inter (6,3 millions) et RTL (6,1 millions). Et même derrière Skyrock, France Bleu et Nostalgie, toutes au-dessus des 3 millions. Une humiliation pour la prestigieuse station, dont l'histoire la porte plutôt à viser les sommets. Cette déconfiture a provoqué le départ du directeur Laurent Guimier et un changement de pied stratégique. Alors qu'Europe 1 a recruté des noms ronflants à l'extérieur et à prix fort ces dernières années, elle a décidé en cette rentrée de faire confiance à une voix déjà en place (Belliard présentait le 17 heures-20 heures l'an dernier). «C'est notre conviction et c'est l'identité de cette radio : nos talents maison seront la clé de la reconquête», croit Constance Benqué, nouvelle patronne issue du groupe Lagardère.

«Des solutions par défaut, un côté low-cost…»

La même ligne de conduite a été suivie pour le reste de la grille. La tranche 16 heures-18 heures a été donnée à l'humoriste Matthieu Noël, avec une émission de bande. Celle de 9 heures à 11 heures revient à Philippe Vandel (médias et culture). Raphaëlle Duchemin a, elle, conservé la case de mi-journée. Seule entorse à cette règle, Nathalie Levy, venue de BFM TV, qui a pris les manettes du 18 heures-20 heures. «Nous n'avons pas voulu tout casser. Nous reconstruisons sur ce qui a moins dégringolé», explique Constance Benqué, désarmante de franchise. Mais il faudra du temps. Nous sortons de deux années mauvaises. Tout mon problème est de faire revenir les auditeurs… Nous clarifions le positionnement et notre cible : le quadra actif, plutôt urbain, plutôt cadre ou entrepreneur.»

Les salariés se montrent prudents. «Peut-on remonter sans têtes d'affiche ? C'est compliqué, juge l'un. Il y a quand même beaucoup de départs, des solutions par défaut, des décisions tardives, un côté low-cost…» Plusieurs voix bien connues des auditeurs restés fidèles à Europe 1 sont parties : Céline Kallmann, David Abiker, Hélène Jouan… Sonia Mabrouk a été imposée au journal de 8 heures au dernier moment, à la place d'un autre. Et Maxime Switek, pur produit de la boîte, qui devait reprendre la case 9 heures-11 heures, ne s'est finalement pas entendu avec la direction. La grille semble avoir été bâtie dans la difficulté.

Un triumvirat à la manœuvre

En attendant, le plongeon d'audience d'Europe 1 a mécaniquement fait baisser ses recettes et aggravé ses pertes, estimées à 20 millions d'euros l'an dernier. «La situation économique n'est pas bonne, nous devons faire des économies partout», admet Constance Benqué. «Ça bricole dans tous les sens et je crains que cela se ressente à l'antenne à un moment», observe une journaliste. A écouter cette dernière, l'organisation est acrobatique, avec la multiplication de «doubles postes» dans la radio : un salarié se retrouve à faire de la présentation le week-end et de l'économie la semaine ; une autre doit couvrir l'actualité de la santé tout en animant une émission quotidienne d'une heure sur le sujet ; un dernier alterne animation et reportage dans la même matinée… «Oui, les gens bossent beaucoup. L'été a été difficile», convient la patronne d'Europe 1. Dans les équipes, beaucoup s'interrogent sur la marge de manœuvre de Constance Benqué, pas une professionnelle chevronnée de la radio. Et se demandent : dirige-t-elle vraiment Europe 1 ?

Car un triumvirat est à la manœuvre. A côté de Constance Benqué, Donat Vidal Revel, directeur de l'information depuis 2017, déjà passé par Europe 1 entre 1996 et 2006, a pris du galon. Toutefois, ces deux-là sont hiérarchiquement sous l'autorité de Ramzi Khiroun, porte-parole et directeur des relations extérieures de Lagardère. Un personnage aussi discret que politique, longtemps proche de DSK avant de se mettre au service d'Arnaud Lagardère. Un homme de l'ombre fasciné par les médias. «Durant l'été, Ramzi a été très présent lors des réunions de grille. Il a écouté des maquettes. Il n'était pas aussi visible avant, estime un journaliste. C'est assumé par Constance Benqué.» Celle-ci admet une construction «collective» de la grille de rentrée d'Europe 1, estimant légitime qu'Arnaud Lagardère, portant le titre de président de la station, ait mandaté son représentant. Cette situation fait craindre aux salariés que leur radio soit en proie à des «jeux d'influence», selon le terme de l'un d'eux. Un mal récurrent de l'entreprise : les trois précédents directeurs (Laurent Guimier, Frédéric Schlesinger et Denis Olivennes) ont tous dû batailler avec Khiroun, qu'ils trouvaient trop interventionniste. Entre ce dernier et Constance Benqué, la relation est réputée plus fluide. C'est peut-être une chance pour Europe 1. Ou un risque.