Le grand désarroi de la droite française ? Mieux que partout ailleurs, il se donne à voir dans la capitale. A six mois des élections municipales, la confusion est à son comble. Faute de candidat crédible, nombre d’élus en arrivent à conclure que LR ferait mieux de passer son tour en se rangeant derrière un «candidat de rassemblement».
Lequel ? Sur ce point, les avis sont très partagés. Les uns soutiennent pour le moment le juppéiste Pierre-Yves Bournazel, ex-LR élu à Paris depuis 2008 et cofondateur du parti Agir, qui regroupe la droite macroniste. D'autres affichent leur soutien à Benjamin Griveaux, candidat officiel et contesté de LREM. C'est le cas de la maire du IXe arrondissement, Delphine Bürkli, qui a quitté LR au début de l'été. Mais ils sont plus nombreux encore à rester silencieux, tout en témoignant de l'intérêt, voire de la sympathie, pour la démarche de Cédric Villani, le mathématicien marcheur qui s'apprête à officialiser mercredi sa candidature dissidente.
Tous ces élus de la droite parisienne ont au moins un point commun : il n'est pas question pour eux de soutenir Rachida Dati, maire LR du VIIe arrondissement. Faute de concurrent crédible, l'ex-ministre de la Justice a en effet de bonnes chances de s'imposer comme la candidate LR aux prochaines municipales. La commission d'investiture ne devrait trancher sur ce point qu'après l'élection probable de Christian Jacob à la tête du parti. L'actuel président par intérim, Jean Leonetti, a prudemment renvoyé cette patate chaude à son successeur. A défaut de séduire les élus, Dati serait «très appréciée par les militants», fait valoir Agnès Evren, présidente de la fédération LR de Paris. Selon les sondages, elle pourrait compter sur les suffrages de près de 15 % des électeurs.
Lointain souvenir
Un score modeste dont pourraient se satisfaire les dirigeants de la droite : en mai, la liste LR conduite par François-Xavier Bellamy avait à peine dépassé les 10 % dans la capitale… C’est dire à quel niveau sont tombées leurs ambitions. Au premier tour des municipales de mars 2014, l’union de la droite UMP-UDI-Modem conduite par Nathalie Kosciusko-Morizet avait réuni plus de 35 % des suffrages, devançant d’une courte tête la liste de gauche d’Anne Hidalgo, candidate à la succession du maire sortant, Bertrand Delanoë. Malgré la défaite au second tour, ce résultat encourageant avait été interprété comme l’amorce d’une revitalisation de la droite parisienne. Tout cela n’est plus qu’un très lointain souvenir.
Rattrapés par leurs féroces divisions internes - une constante depuis la fin de l'ère Chirac en 1995 -, les élus LR ont été ébranlés par le triomphe d'Emmanuel Macron en 2017 et plus encore par le score de la liste conduite par Nathalie Loiseau (32,92 %) aux élections européennes. Près de la moitié des 55 conseillers de Paris élus avec Nathalie Kosciusko-Morizet en 2014 ont quitté le groupe LR. A l'image du député et ex-maire du XVIe Claude Goasguen ou des maires d'arrondissements Jean-François Legaret (Ier), Florence Berthout (Ve) et Philippe Goujon (XVe), ils ont rejoint le groupe 100 % Paris fondé par le député de la 18e circonscription, Pierre-Yves Bournazel. D'autres, comme Marie-Laure Harel, ont préféré rejoindre LREM. Cette ancienne jeune sarkozyste a d'ailleurs été nommée porte-parole de Benjamin Griveaux. Elle rejoint dans l'équipe du candidat contesté la députée Olivia Grégoire, ex-collaboratrice de Jean-Pierre Raffarin puis de Xavier Bertrand.
A défaut de prétendre conquérir Paris, la droite peut au moins avoir son mot à dire dans le duel annoncé entre Griveaux et Villani. Conscients qu'ils n'ont aucune chance de battre Hidalgo sans le soutien de l'électorat LR, les deux rivaux multiplient les signaux dans leur direction. Après celui de Delphine Bürkli, l'ex-porte-parole du gouvernement a engrangé dimanche, dans le Parisien, le soutien de Jean-Christophe Lagarde, chef du modeste parti de centre droit UDI, allié à LR en 2014 et très hostile à la majorité LREM jusqu'aux européennes. De ce ralliement au macronisme, il peut sans doute espérer des accords dans les nombreuses communes d'Ile-de-France dirigées par des élus UDI. Dans le camp Villani, on ironise sur le caractère très politicien de l'opération : «Voilà un soutien qu'on leur laisse volontiers.»
«Rebelle et intello»
Le mathématicien préfère, lui, mettre en avant les appuis de figures de la société civile. De l'économiste Philippe Aghion à l'historien Benjamin Stora, en passant par Ingrid Betancourt et l'écrivaine Fatou Diome, ils sont une vingtaine, dans le Parisien, à célébrer dimanche Villani, «porteur d'une vision qui transcende les clivages» et «vecteur de changements enthousiasmants».
Soucieux de sauver leurs fauteuils, les piliers de la droite parisienne ne sont pas insensibles, eux non plus, à cette «transcendance». Tout en soutenant la candidature Bournazel, Claude Goasguen et Philippe Goujon envisagent de soutenir le député de l'Essonne… après avoir été sèchement éconduits par Griveaux en juin. «Il faut se rendre à l'évidence, Villani est une personnalité attractive. Avec son côté rebelle et intello, en guerre contre les apparatchiks, il a tout pour plaire aux Parisiens qui ne veulent pas avoir à choisir entre Griveaux et Hidalgo», dit Goujon, le maire du XVe, candidat à sa succession. C'est ainsi, à Paris, qu'une droite en décrépitude pourrait arbitrer un duel qui révèle les contradictions du macronisme.