C'est à Lyon, dans la mairie du IIe arrondissement, en même temps qu'à Paris, Biarritz et Ustaritz, qu'ont eu lieu le 21 février les premiers décrochages de portraits présidentiels. Six mois plus tard, lundi, deux militants d'ANV-COP 21 ont été jugés par le tribunal de grande instance de Lyon pour «vol en réunion», délit théoriquement passible de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende. Entre-temps, le mouvement de désobéissance civile a pris de l'ampleur : 128 photos officielles d'Emmanuel Macron ont été subtilisées, donnant lieu à 94 gardes à vue, 74 perquisitions (et pas un seul portrait retrouvé), ainsi que 57 convocations dans 17 procès.
Cette accumulation est la preuve de la détermination des «décrocheurs» : «On assume complètement, on est prêts à passer devant un juge, on y va en toute connaissance de cause», explique Fanny Delahalle, prévenue à Lyon au côté de Pierre Goinvic. Les deux trentenaires, respectivement chargée de projets et éducateur, sont les seuls du groupe d'une vingtaine de personnes menant l'action à avoir été identifiés par la police. «On a beaucoup plus peur du chaos climatique qui s'annonce que de devoir s'expliquer devant la justice», précise Fanny Delahalle.
La campagne «Décrochons Macron» s'était fixée pour objectif de réunir 125 portraits - le nombre de jours que met la France à griller son empreinte écologique annuelle - pour le G7 de Biarritz. Pari réussi : le 25 août, malgré l'interdiction de manifester, des dizaines de portraits sont «ressortis» à Bayonne pour une marche dénonçant le «blabla» du «champion» Macron.
«Faucheurs». A Lyon, lundi, un forum citoyen s'est tenu toute la journée place Guichard, dans le IIIe arrondissement, tandis qu'une déambulation a eu lieu avant l'audience près du tribunal. Des militants, tee-shirts jaune et vert, scandent : «Nous sommes tous des faucheurs de portraits», «Et un et deux et trois degrés, c'est un crime contre l'humanité», «On est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat». Une dame, dans la rue, dit à sa fillette apeurée par le bruit : «Ils sont gentils, ma puce, ils sont pas contents mais ils sont gentils.» Le cortège de près de 250 personnes s'arrête sur l'esplanade de l'auditorium pour donner la parole aux militants et aux deux témoins conviés par la défense à s'exprimer devant les juges : Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS et contributeur au Giec, et Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France, l'une des quatre ONG, avec la Fondation Nicolas Hulot, Notre Affaire à Tous et Greenpeace France, à l'initiative de l'Affaire du siècle, qui attaquent l'Etat en justice pour inaction face au changement climatique. Leur pétition a déjà récolté plus de 2,3 millions de signatures.
«Le gouvernement français a une responsabilité, celle de protéger ses citoyens, le président Macron a beaucoup discouru, il n'est toujours pas passé à l'acte», considère Cécile Duflot. A la barre, l'ancienne ministre, qui se présenteau tribunal comme «militante écologiste» et «témoin de l'inaction», assure que les moyens sont pourtant là : «Je sais la capacité d'action d'un gouvernement, pour l'avoir vu de près, et je peux vous dire qu'il ne s'agit pas d'une incapacité mais d'un manque de volonté politique.» «Ce n'est pas une fatalité», insiste Duflot, pour qui «l'utilisation de l'enceinte judiciaire» tient du «devoir» citoyen.
«Prise d'otage». Avant elle, Fanny Delahalle invoque également devant la cour une «urgence gravissime» : «Si nous continuons à +3° C ou +4° C, ce sera un véritable chaos climatique, notre gouvernement, notre président n'est pas à la hauteur de cet enjeu», assène-t-elle. Le président du tribunal, Marc-Emmanuel Gounot, demande s'il est «envisagé de restituer le portrait». «C'est un peu une prise d'otage ?» tente-t-il en souriant. Au second prévenu, Pierre Goinvic, il demande où se trouve le portrait. Réponse sur un ton neutre : «Dans un lieu caché.» Gounot : «Et si rien ne bouge comme vous l'entendez, allez-vous continuer ?» Fanny Delahalle : «J'aimerais ne pas avoir à le faire, je suis très en colère vis-à-vis de la situation actuelle, mais j'utilise ma colère de manière constructive et non-violente.»
Le réquisitoire de la procureure se solde par la même requête que lors du premier procès de décrocheurs, à Bourg-en-Bresse : 500 euros d'amende. La défense plaide la relaxe : «Ce serait une décision courageuse, vous avez le choix», lance Me Thomas Fourrey. Le délibéré sera rendu le 16 septembre. Le 11 septembre, à Paris, c'est par la chambre antiterroriste que seront jugés les prochains militants d'ANV-COP 21.