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Mouloud Achour, «une vitrine d’image et de sens» pour Canal

Depuis ses débuts à MTV, l’animateur de 39 ans mène sa barque sur Canal+. Malgré des audiences moyennes, ce natif de Seine-Saint-Denis s’installe en clair à 19h55 avec «Clique», à contre-courant des talk-shows de la concurrence.
Mouloud Achour en octobre 2018 à Paris. (ERIC FEFERBERG/Photo Eric Feferberg. AFP)
par François Rousseaux
publié le 2 septembre 2019 à 17h31

Et voilà qu'il se trompe de porte, en voulant entrer dans son propre bureau, au 4e étage de sa société de production. Mouloud Achour n'a pris que quatre jours de vacances cet été, la faute au tournage de son premier film comme réalisateur, et à la préparation de la nouvelle version de son émission Clique, qui débarque ce lundi soir en clair et en direct sur Canal+. Jusque-là, ce touche-à-tout n'occupait que le 1er étage de sa start-up, près de la place de la Bastille. Mais il a fait du chemin dans la tête des dirigeants de la chaîne et grimpé les étages, jusqu'à ce bureau si symbolique pour lui. C'était celui de Jean-François Bizot, fondateur de la revue pop Actuel et de Radio Nova, à qui Achour venait proposer ses services. Il n'avait que 16 ans. «Retourne à l'école !» lui intima, Bizot, aujourd'hui disparu. Vingt-trois ans se sont écoulés. Le gamin franco-algérien né en Seine-Saint-Denis est devenu journaliste et animateur. Il a mûri au sein de la «famille» Canal, à qui il a insufflé sa culture hip-hop et rap, imposé ses interviews fleuve de philosophes ou d'invités inconnus au bataillon.

Ce bureau est désormais le sien. C'est un chef d'entreprise qui a embauché 40 salariés en sept ans. Et dorénavant le quasi-survivant du Canal+ époque paillettes, avant la reprise en main musclée du groupe par Vincent Bolloré à l'été 2015. Les autres visages sont partis avec fracas, Yann Barthès, Maïtena Biraben, Daphné Bürki, Victor Robert. Les Guignols et le Zapping aussi. Lui, le «cool, toujours ado», «patron un peu directif» à en croire sa jeune garde, est resté. «Lui confier aujourd'hui "l'access prime time", c'est une façon pour la chaîne de garder un maigre lien avec ce qui fut l'esprit Canal», assure un de ses anciens dirigeants. Qui, comme la majorité des professionnels interrogés, ne se livre à aucune critique contre l'animateur : Mouloud Achour, avec son univers si singulier et ses audiences confidentielles, ne fait d'ombre à personne. «Si Cyril Hanouna, très influent au sein du groupe Canal, le laisse s'installer, c'est bien qu'il ne le craint pas», ajoute un animateur qui connaît parfaitement la maison. Discrètement, Achour a creusé son sillon.

«Sa bonhomie et son regard à 360 degrés»

«C'est un garçon rusé, qui a toujours l'œil qui frise», juge Stéphane Simon, le producteur qui l'a repéré à ses débuts sur la chaîne musicale MTV. «Il avait des arguments évidents : jeune, issu de la diversité, déconnant, avec une vraie empathie», raconte celui qui le propulse en 2006 chroniqueur dans la Matinale de Canal+. Avant que Michel Denisot ne le débauche et l'installe à la table du Grand Journal. «Il est arrivé avec sa bonhomie et son regard à 360 degrés, nous a fait découvrir d'autres domaines artistiques. Il a ouvert notre champ de vision», se remémore Denisot, qui ouvre ce lundi soir l'émission pour un passage de témoin. «A la télé, il faut aller vite sans se presser. C'est ce qu'il fait.»

Achour rêve d'autonomie. En 2012, il fonde sa propre boîte de prod, Première Fois Productions, et décline pour Canal+ son univers urbain et décalé en marque : Clique. «Au début, on n'était qu'à trois. Et on a eu des années compliquées», reconnaît son bras droit et directeur général Rudy Taïeb. Canal l'installe le samedi midi, le déprogramme après un an d'antenne, mais le relance illico sur le Web. «C'est là qu'on a décidé d'aller chercher son public», précise Maxime Saada, le boss de la chaîne. Bingo. Achour obtient la première interview en Europe du rappeur américain star Kanye West (près de 2 millions de vues sur You Tube), et fait piano piano entendre sa petite musique à lui. Des interviews conversation, une bienveillance et un style simple à l'image de la marque de prêt-à-porter Uniqlo, dont il deviendra l'égérie. Un ovni dans ce PAF où tout se dit vite et cash. «Comme tous les autodidactes, Mouloud est hypercurieux de tout. Il a rencontré les rappeurs qui cartonnent aujourd'hui avant même qu'ils ne soient connus», applaudit son amie Faïza Zerouala, journaliste à Mediapart. A écouter son pote Ali Baddou, «il est chez lui partout, n'aime pas les conflits, à part les combats des Chevaliers du Zodiaque. Mouloud, il a une histoire à raconter depuis longtemps». Et qu'il déroule à nouveau, en 2016, lorsqu'il repasse du Web à la télé, fort d'une communauté gagnée sur la Toile. Il lance un éphémère Gros Journal, en quotidienne, tâtonne et atterrit finalement le week-end avec Clique Dimanche.

100 000 téléspectateurs en moyenne les deux saisons passées

Sur son plateau, la chanteuse Chris (ex-Christine and the Queens) lit des extraits de King Kong Théorie de Virginie Despentes. Le prodige du foot Kylian Mbappé confie ses rêves de «tout gagner». Edgar Morin, Juliette Binoche, Roger Federer ou M. Pokora se succèdent, sans bain de foule : 100 000 téléspectateurs en moyenne les deux saisons passées pour Clique Dimanche (0,9% de part d'audience). Mais sous le règne Bolloré, Canal a fait le deuil de l'audience dans ce qui lui reste de tranches en clair.

«Pour nous, Mouloud Achour, c'est comme Yves Calvi, c'est une vitrine d'image et de sens», insiste Gérald-Brice Viret, directeur général des antennes de Canal. Et c'est d'un tonitruant «Président Mouloud !» que la direction du groupe l'intronise devant la presse à l'automne dernier, pour présenter sa 31e et toute nouvelle chaîne. Son nom ? Clique TV, entièrement dédiée à son poulain, pour un investissement de 2 millions d'euros. Qui décroche dans la foulée la case sinistrée du 20h-21h pour la rentrée, soutenu fermement par Maxime Saada, pour qui Achour incarne une authenticité et une sobriété à revers de l'image «parisianiste» qui colla au Grand Journal. «Mouloud est généreux, curieux, c'est quelqu'un de rare et de très important pour moi», confie le président du directoire de Canal+. Et pas seulement parce que son protégé lui a envoyé une playlist musicale pour ses vacances. «Il a un regard positif sur les gens. C'est la posture du Canal d'aujourd'hui.»

Un nouveau plateau signé de l’artiste Daniel Buren

Dans les couloirs de la chaîne cryptée, on vante «l'homme de la réconciliation» quand Achour brandit son obsessionnelle quête de sens : «A la télé aujourd'hui, on s'invective plus qu'on ne s'écoute. Je veux rendre la parole aux chercheurs plutôt qu'aux experts, écouter ce qui nous fait rire et danser.» Alex Lutz ou la révélation Roman Frayssinet l'épauleront de leurs pastilles humoristiques, sur un nouveau plateau signé de l'artiste Daniel Buren. Mais le féru de presse économique et de culture japonaise devra élargir le tour de table pour rallumer la lumière sur l'access de Canal. Sans invité politique : il aimerait que ceux-ci la mettent en sourdine «pour travailler». «On raconte la société avec la culture, de fait c'est une émission politique», tranche celui qui a quitté Twitter. Il rejette d'avance toute compétition avec ses désormais puissants concurrents, Barthès (TMC), Hanouna (C8), Lemoine (France 5). «Je ne suis pas un mec de télé, jure-t-il. J'avais pas le physique, pas le nom, à peine le bac. Les autodidactes se projettent rarement. Moi, j'accumule.» Il rit aux éclats. Et ressort, suivi de son inséparable chien Couscous, par la bonne porte cette fois.