Rentrée décisive pour les opposants à la privatisation d'Aéroports de Paris. Ouverte le 13 juin, et censée rendre possible la tenue d'un débat parlementaire ou d'un référendum sur le sujet, la collecte des signatures citoyennes a souffert de la pause estivale. Diminuant les chances d'atteindre d'ici mars le nombre requis de soutiens. «Il faut mettre un coup de reins», reconnaît le président du groupe PS au Sénat, Patrick Kanner : à l'image d'autres animateurs de la campagne, celui-ci souhaite relancer le mouvement en dépassant le seuil symbolique du million de signatures avant la fin septembre.
Barre symbolique. La coalition transpartisane réunissant le PS, le PCF, La France insoumise et Les Républicains a jusqu'au 12 mars pour recueillir un minimum de 4 717 396 signatures, l'équivalent de 10 % du corps électoral. Au 29 août, 713 000 soutiens avaient été enregistrés par le Conseil constitutionnel, 96 % d'entre eux ayant été validés par le ministère de l'Intérieur. Le même jour, le service CheckNews de Libération, qui estime par ses propres moyens le nombre de soutiens validés, l'évaluait à 689 000, soit 14 % environ du total à atteindre. Or dans le scénario idéal d'une progression linéaire du nombre des signatures, la pétition devrait aujourd'hui avoir dépassé la barre des 1,3 million.
«J'ai vu beaucoup de monde pendant les vacances et ce qui me frappe, c'est que les gens ne sont pas au courant de la procédure, raconte le député LR Gilles Carrez. Dès qu'on leur en parle, l'immense majorité a pourtant une réaction positive. Ensuite, la démarche pour signer n'est pas évidente. Disons que l'Intérieur n'a rien fait pour rendre ergonomique le site officiel de la pétition…» Quant à Patrick Kanner, il «déplore qu'il n'y ait pas un minimum d'info officielle sur le sujet» - le Conseil supérieur de l'audiovisuel ayant fait savoir fin juillet que la loi ne prévoyait «aucun dispositif particulier» en la matière.
«Le passage à vide de l'été n'est pas étonnant, relativise l'ex-ministre de la Ville de François Hollande. Mais à la braderie de Lille, ce week-end, j'ai vu des stands du PS, de LFI et du PCF proposant de signer : cela doit représenter plusieurs centaines de soutiens. Bientôt il y aura la Fête de l'Huma… Chacun doit mobiliser ses réseaux. Ce qui m'intéresse, c'est d'atteindre au plus vite le million de signatures. Et de marquer le coup avec un événement collectif qui remettra deux sous dans la musique», à l'image du meeting transpartisan organisé en juin à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Ce seuil, et d’autres barres symboliques, pourraient s’imposer comme des objectifs de substitution s’il s’avérait impossible d’atteindre les 4,7 millions de paraphes.
Il correspond en outre aux plans de l'exécutif lui-même : reconnaissant que le dispositif est quasi inapplicable dans son état actuel, le gouvernement veut faciliter son usage, que 10 % des parlementaires et un million de citoyens pourraient suffire à permettre après l'adoption de la future réforme institutionnelle. «Si nous atteignons ce chiffre, Bercy ne pourra pas refuser de discuter sur le fond», veut croire Carrez.
Pour l'heure, toutefois, le gouvernement ne paraît pas l'envisager. «On a dit qu'on ne déciderait rien tant que la procédure sera en cours», explique-t-on dans l'équipe du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, où l'on prévoit seulement «de continuer d'expliquer le projet et de répondre aux fake news à son sujet».
Parallèle. On se refuse d'ici là à envisager cet embarrassant scénario : un nombre de signatures trop faible pour déclencher la suite de la procédure - un débat parlementaire ou, si celui-ci n'a pas lieu dans les six mois, un référendum - mais trop important pour procéder comme si de rien n'était à la controversée privatisation… «On passerait alors du juridique au politique», juge Kanner.
S'il s'affiche respectueux de la procédure, d'autant plus facilement qu'il ne croit guère à son succès et qu'il compte en parallèle mener à bien la privatisation de la Française des jeux (FDJ), l'exécutif continuera à dénoncer l'alliance contre-nature de ses opposants. Et particulièrement les contradictions de la droite, bien aidé par les réelles divisions de celle-ci : «Ce serait une catastrophe pour nous s'il y avait un référendum. Mélenchon criera toujours plus fort que nous sur ces sujets, et ce serait la fin de toute privatisation avant longtemps», confiait ainsi avant l'été le député LR Eric Woerth, président de la commission des finances. «Je ne vais pas m'allier avec La France insoumise contre les privatisations !» a protesté lundi sur BFM TV la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, sceptique face au positionnement de son ancien parti et pas hostile, sur ce coup, au projet du gouvernement.