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Municipales

A Paris, Villani dans le plus simple appareil

En rupture avec La République en marche, le député mathématicien est soutenu par un panel de personnalités issues de la société civile. Sa candidature et son discours s’inscrivent dans l’esprit de la campagne d’Emmanuel Macron de 2017.
Meeting de Cédric Villani, le 4 juillet, au théâtre du Gymnase. (Photo Albert Facelly)
publié le 3 septembre 2019 à 20h56

Les débats promettent d’être animés, ce week-end à Bordeaux, au «Campus des territoires» organisé par La République en marche (LREM). En réaffirmant probablement ce mercredi son intention de faire dissidence dans la capitale, le député Cédric Villani donne matière à réflexion aux quelque 3 000 cadres et militants attendus dans la préfecture de Gironde. Au menu : le renforcement de l’implantation de LREM lors des municipales et les progrès de la démocratie interne.

Les cadres dirigeants de LREM - de vieux amis de Benjamin Griveaux pour la plupart - se désoleront de la coupable indiscipline du mathématicien, qui bafoue les règles acceptées par tous. D’autres oseront s’interroger sur la légitimité démocratique de Griveaux, candidat désigné mais par une lointaine commission d’investiture qui a tranché en quelques dizaines de minutes et avec une unanimité qui a interrogé. Tous reconnaîtront que ce duel Villani-Griveaux plonge la macronie dans un grand embarras. Peut-être une crise existentielle.

Le psychodrame parisien met en effet au jour les contradictions et les ambiguïtés du parti présidentiel. Car les deux rivaux protestent, chacun à leur manière, de leur loyauté. Griveaux fait valoir qu'il a l'investiture du parti et que c'est donc à lui que revient «l'immense responsabilité de rassembler le plus largement possible». Villani constate qu'en dépit d'une incontestable dynamique en sa faveur, il a été écarté le 10 juillet par «l'appareil LREM», au terme d'une procédure selon lui «viciée». S'il décide de s'en affranchir, au risque de passer pour un mauvais joueur, c'est qu'il estime être fidèle, lui, à «l'esprit» du macronisme, c'est-à-dire à une volonté de bousculer les logiques partisanes.

Dès le 11 juillet, il avait promis de s'exprimer «dans les premiers jours de septembre». Il le fera ce mercredi soir au café Gaîté, brasserie du XIVe arrondissement, où le député de l'Essonne a son domicile. Dans le Vercors et dans les Alpes-Maritimes, il a passé son été à soigner ses réseaux, ne s'autorisant qu'une «carte postale» dans Paris Match, à qui il a donné l'exclusivité de son nouveau look : cheveux raccourcis, sans lavallière ni broche araignée, le mathématicien délaisse son costume romantique pour une tenue moins excentrique. «Il faut avoir son identité, mais ne pas en être prisonnier», explique-t-il à l'hebdomadaire. Il a également fait passer quelques messages en se confiant sur ses lectures : les Racines du ciel de Romain Gary, «conseillé par Yannick Jadot» ; Pour l'honneur de Paris, livre programme de l'ancien maire socialiste Bertrand Delanoë, ainsi que Revoir Paris du député de Paris Pierre-Yves Bournazel, ex-LR. Une dose d'écologie, un peu de droite et un peu de gauche : les lectures d'un rassembleur…

S'il confirme son intention de défier Griveaux, Villani s'expose en principe à une exclusion immédiate. C'est d'ailleurs ce qu'avait rappelé en juillet le très raide et très menaçant président de la commission d'investiture de LREM, Alain Richard. Exclure Villani ? Jusqu'à la fin du mois d'août, la question a fait débat à la direction de LREM. Le patron du parti, Stanislas Guerini, jugeait cette sanction envisageable tandis que le chef de file des députés, Gilles Le Gendre, ne voulait pas en entendre parler. «Si on veut penser au rassemblement, le meilleur moyen de le préparer n'est certainement pas de créer des clivages par des sanctions», déclarait-il dimanche sur BFM TV.

Sens politique

Occupé à la préparation de son G7 de Biarritz, Emmanuel Macron s’est tenu éloigné du bourbier parisien. Au début de l’été, des conseillers un peu trop sûrs de leur affaire avaient expliqué au chef de l’Etat que tout était sous contrôle : après avoir digéré sa déception, le sympathique Villani finirait forcément par rentrer dans le rang. Jamais il n’oserait contester l’investiture réglementaire de Griveaux, disciple de Macron et cofondateur d’En marche, à qui Paris est promis depuis le début du quinquennat… C’était mal connaître la détermination et le sens politique du mathématicien. A l’Assemblée nationale, les députés ont pourtant pu le voir à l’œuvre, dans son combat aux côtés des communistes pour la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la disparition du militant Maurice Audin ou encore dans la rédaction de son rapport sur l’intelligence artificielle.

La députée LREM de Marseille Claire Pitollat est intarissable sur le «rayonnement» de son collègue, sur «sa capacité à élever le débat et à mettre de l'ordre dans un environnement complexe». Elle rappelle qu'il compte, au côté du député Matthieu Orphelin, proche de Hulot, parmi les initiateurs du collectif «Accélérons» regroupant des élus de tous les partis mobilisés pour la transition écologique et solidaire. La députée de Paris Anne-Christine Lang, l'une des rares à le soutenir ouvertement, se dit «bluffée» par l'intérêt que suscite Villani. «Des chauffeurs de taxi lui crient de tenir bon. Il ne peut pas faire trois mètres sur un trottoir sans que des gens traversent la rue pour lui serrer la main. Je n'ai jamais vu ça depuis 2016». Villaniste inconditionnelle, la députée n'est pas la seule à avoir «l'impression de revivre la campagne présidentielle».

Les responsables de la majorité ont fini par se rendre à l'évidence : toujours très populaire chez les marcheurs comme dans l'opinion, Villani est intouchable. En juillet, il devançait de près de 20 points Griveaux dans les sondages de popularité. Résigné, ce dernier a adressé lundi soir aux marcheurs parisiens un message assurant qu'il ne milite pas, lui non plus, pour l'exclusion de son rival : «Je ne souhaite pas qu'un comportement isolé vienne mettre à mal le mouvement que j'ai participé à bâtir et à faire vivre. […] Je suis convaincu qu'un marcheur sincère peut s'égarer, mais il finit toujours par retrouver le chemin du collectif», écrit, magnanime, le député de Paris.

Premiers compagnons

Villani, marcheur égaré et isolé ? Ce jugement de Griveaux est loin de faire l'unanimité. Sur les boucles Telegram où échangent les marcheurs parisiens, les débats sont parfois violents entre pro et anti-Villani. Tandis que le candidat officiel se prévaut du soutien d'élus qui s'engagent pour «révolutionner une démocratie parisienne à bout de souffle» (l'ex-LR Delphine Bürkli, maire du IXe arrondissement, ou encore le patron de l'UDI, Jean-Christophe Lagarde), le candidat dissident s'affiche aux côtés d'intellectuels et d'artistes qui furent parmi les premiers compagnons de route d'Emmanuel Macron. Dimanche, dans le  Parisien, l'économiste Philippe Aghion, l'historien Benjamin Stora et l'écrivain Erik Orsenna faisaient partie des 131 signataires de l'appel pour la «candidature audacieuse» de Villani. Ils estiment qu'avec son «parcours hors norme», le mathématicien serait en mesure de «transformer Paris en capitale de l'innovation». «Villani a de vraies chances de gagner. Je retrouve autour de lui l'ambiance des débuts d'En marche. Je le vois bien autour de moi : beaucoup de gens qui avaient perdu l'enthousiasme de 2017 se retrouvent dans ce refus des jeux partisans. Villani est entouré de gens très compétents dans tous les domaines. Si Griveaux incarne l'appareil, Villani incarne l'esprit du macronisme», affirme Aghion à Libération.

Mercredi soir, quelques députés de la majorité vont s'afficher pour la première fois au côté du mathématicien. «Avec Cédric, on renoue avec la bienveillance et l'authenticité, avec la promesse originelle de renouveler les pratiques et de faire vivre la démocratie interne», dit une élue qui devrait faire partie de l'équipe de campagne.

«Retour aux sources»

Griveaux ou Villani ? Le dilemme illustre un profond désaccord sur la nature même du macronisme. L'ex-communicant de François Hollande, Gaspard Gantzer, en course lui aussi pour la mairie de Paris, constate qu'il y a «trois lectures de ce qui s'est passé en 2017 : celle de Hollande consiste à dire qu'il s'agissait d'un accident de l'histoire ; celle de Griveaux et ses amis, qui se disent "on a fait la révolution, on a pris le Palais d'Hiver, la révolution est terminée" ; et il y a ceux qui pensent qu'on n'est encore qu'au début de cette révolution». A ses yeux, Villani est clairement dans cette dernière catégorie. Pour Baptiste Fournier, un lieutenant de Villani, le parti majoritaire paie avec ce gros couac les erreurs des deux dernières années. «En marche aurait dû rester un mouvement ; il a voulu trop vite se transformer en parti. Du coup, il est tombé dans les pires travers.» Après le grand coup de balai de la présidentielle, le temps des partis n'est pas encore revenu. «Peut-être ne reviendra-t-il que dans l'après-Macron», ajoute Fournier, qui constate que tous les partis s'organisent plutôt, ces temps-ci, autour de personnalités que de structures. C'est le cas à droite avec Valérie Pécresse et Xavier Bertrand. C'est aussi ce qui se jouerait à l'extrême gauche avec le succès de François Ruffin et l'échec de La France insoumise. Entre un Villani qui se réclame de «l'esprit du macronisme» et un Griveaux qui met en avant sa légitimité partisane, les soutiens du mathématicien sont persuadés que les électeurs n'auront pas beaucoup d'hésitation.

Dans les jours qui viennent, les villanistes font le pari que les ralliements vont se multiplier dans les comités locaux parisiens de LREM. C'est dans ces unités, base légale du mouvement, que s'exprime le mieux la sensibilité des marcheurs. «Il y a là une volonté de soutenir Villani sans esprit de rupture ; il ne s'agit pas d'une dissidence mais d'un retour aux sources, comme en 2017. Le duel annoncé est perçu comme une impasse», assure un cadre parisien d'En marche. Spectateur de cette bataille, un ministre doutait mardi de la possibilité d'un dénouement pacifique : «La dynamique est clairement du côté de Villani. Mais comment faire pour débrancher Griveaux ?» Un soutien de ce dernier en est presque à attendre avec impatience que le mathématicien se dévoile : «Il est sur son nuage mais dès qu'il se sera déclaré, les coups commenceront à pleuvoir.»