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Retraites

Avec Delevoye, l’Elysée recrute un vieux sage pour éviter des grimaces

Le haut-commissaire, qui conservera ce titre, semblait pour l’exécutif le mieux à même de rassembler sur l’épineuse réforme des retraites.
Jean-Paul Delevoye à l’Elysée le 14 mai 2017, lors de la passation de pouvoir entre François Hollande et Emmanuel Macron. (Photo Laurent Troude)
publié le 3 septembre 2019 à 20h26

Un homme de l'ancien monde pour incarner cet «acte 2» fait d'«écoute» et d'«échanges» comme le vendent les communicants de la majorité. Après avoir rendu mi-juillet ses préconisations «pour un régime universel de retraites», Jean-Paul Delevoye, 72 ans, entre au gouvernement pour rédiger et défendre la grande réforme promise par Emmanuel Macron : un nouveau système annoncé pour 2025 dans lequel on ne cotisera plus de trimestres mais des «points» et dans lequel, selon la formule consacrée au sein de l'exécutif, «un euro cotisé donnera les mêmes droits pour tous».

Apprécié à droite et à gauche

A l'été 2017, Macron était déjà allé sortir de sa retraite cet ancien chiraquien, un de ses premiers soutiens politiques dans l'aventure En marche, pour épauler sa ministre des Affaires sociales, Agnès Buzyn, et rendre des «préconisations» sur un sujet qu'il maîtrise : il a coécrit en 2003 une grande partie de la réforme qui alignait progressivement le régime des fonctionnaires sur celui des salariés du privé et connaît par cœur les syndicats pour avoir présidé le Conseil économique, social et environnemental (Cese) entre 2010 et 2015. Au ministère, Delevoye travaillait sous un statut particulier : haut-commissaire en dehors du gouvernement. A l'image d'un Martin Hirsch qui, en 2007, avait rejoint le Conseil des ministres et Nicolas Sarkozy pour mettre en place le RSA, Delevoye garde ce titre. «Il était logique qu'ayant commencé comme haut-commissaire, je poursuive mon travail comme tel, a-t-il expliqué mardi à la Voix du Nord. Je garde la même équipe, le même lieu, pour être l'interlocuteur privilégié des partenaires et écrire la future loi.» Il y a seize ans, il avait pourtant le titre de ministre. Sur le papier, Delevoye restera rattaché à Buzyn, mais siégera désormais au Conseil des ministres et participera au séminaire de rentrée du gouvernement puis aux rencontres entre les partenaires sociaux et Edouard Philippe.

Revendiquant depuis sa nomination les «notions de temps, de dialogue constructif avec les syndicats, les citoyens, les parlementaires», Delevoye a déjà au compteur plusieurs phases de «concertation» et de «consultation» avec partenaires sociaux et citoyens. Ses années passées à la tête de l'Association des maires de France et comme médiateur de la République font de l'ancien maire de Bapaume (Pas-de-Calais) une personnalité consensuelle, appréciée à droite et à gauche. Soucieux, répète-t-il, de «réembarquer la notion de solidarité générationnelle» et attaché au système par répartition, il est reconnu par les leaders syndicaux. Mis à part FO sur la fin, aucune centrale - y compris les plus opposées à la réforme comme la CGT - n'a claqué la porte de la phase de concertation qui a précédé la remise de son rapport. Plus important : la CFDT a confiance en cet homme de 72 ans, jovial, qui croit dans cette formule universelle par points et se méfie de Bercy et de Matignon. Autre atout : il connaît sur le bout des doigts le fonctionnement du Sénat - il y a siégé de 1992 à 2002 - et tous les députés de la majorité, puisqu'il a présidé la commission d'investiture législative d'En marche.

«La loi s’écrit en marchant»

Reste à connaître le poids politique réel de ce haut-commissaire destiné à laisser son nom à cette réforme majeure du quinquennat. Jusqu'ici, il pouvait se prévaloir d'une certaine indépendance vis-à-vis des autres membres du gouvernement. En mars, alors qu'Edouard Philippe et Agnès Buzyn avaient, pour faire des économies, poussé de concert avec les ministres de Bercy l'idée de fixer l'âge légal de départ à la retraite au-delà de 62 ans, il avait menacé de claquer la porte, critiquant la volonté de Matignon de lier des mesures «paramétriques» à cette réforme dite «systémique». Cette fois-ci, il va devoir expliquer pourquoi il laisse tomber (ou maintient) ce nouvel «âge d'équilibre» à 64 ans proposé dans son rapport et dont le Président, pour satisfaire la CFDT, a fait savoir fin août qu'il «préférait un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l'âge». «La position d'Emmanuel Macron fait partie du débat. La loi s'écrit en marchant. Il faut considérer que la solution est à trouver entre deux, ose Delevoye dans la Voix du Nord. Le Président n'est pas lié par mon rapport. Il apporte sa clarification.» Au gouvernement et à son nouveau haut-commissaire d'apporter les siennes. Au risque d'une certaine cacophonie.