Directeur général adjoint de l’Ifop, Frédéric Dabi, analyse la remontée
«inédite»
du chef de l’Etat dans l’opinion. Elle doit beaucoup à sa posture
«anti-chienlit»
face aux débordements durant le
[ mouvement des gilets jaunes, ]
mais aussi aux 17 milliards d’euros qu’il a dégainés pour répondre à leurs revendications sociales. Il souligne également combien la réforme des retraites est un dossier risqué.
Si plusieurs enquêtes d’opinion montrent que la popularité d’Emmanuel Macron s’améliore pas à pas, celle-ci reste faible. Faut-il retenir la dynamique ou le fait que «seulement» 38% des Français disent soutenir son action (1) ?
Plus qu'une simple dynamique, il s'agit d'un vrai rétablissement, progressif et régulier durant ces derniers mois. En décembre 2018, quand il était dans l'œil du cyclone des gilets jaunes, Emmanuel Macron était crédité d'un score de satisfaction de 23% dans l'enquête Ifop que nous effectuons pour le JDD, contre 34% au mois d'août. Ce qui frappe, c'est que depuis neuf mois il n'a plus connu de baisse. Et aujourd'hui il se situe à équidistance de ses deux prédécesseurs : très au-dessus de François Hollande et ses 17% en août 2014, il est loin de la popularité que Nicolas Sarkozy conservait en 2009. Mais Emmanuel Macron, qui a fait voler en éclat le bipartisme sans que celui-ci ne retombe sur ses pieds, est d'abord fort de l'absence d'une opposition à même d'être le réceptacle des déçus du macronisme. Dans ce contexte, son socle de 34% à 38% de bonnes opinions constitue un gros point fort pour des élections nationales.
Ce socle a-t-il bel et bien basculé du centre gauche au centre droit, et même à droite ?
Il y a un double mouvement. D'abord, il a complètement retrouvé son socle de l'élection de 2017 – à commencer par les professions libérales et intermédiaires mais aussi les cadres supérieurs. Mais il y a aussi eu une mutation de sa base électorale avec l'arrimage d'un électorat de droite modérée et même un peu au-delà : selon notre dernière enquête pour Paris Match, près d'une personne âgée sur deux (47%) approuve son action, tout comme 49% des retraités. Cela s'explique par une double raison : les réformes menées et la capacité de l'exécutif durant la crise des gilets jaunes à incarner l'ordre, dans une posture «anti-chienlit», qui plaît à ces catégories attachées à cette notion d'ordre.
Dans cette capacité à capter la droite modérée, avec quatre électeurs sur dix de François Fillon en 2017 qui soutiennent l’action du gouvernement, Edouard Philippe joue auprès d’Emmanuel Macron un rôle essentiel. Il y a là une «sainte alliance» entre sympathisants LREM et LR, puisque dans cette dernière catégorie, le chef de l’Etat obtient 48% de bonnes opinions. Autre élément notable : depuis plusieurs mois c’est chez les sympathisants EE-LV qu’il récolte son meilleur score à gauche (49% contre 9% à LFI et 38% au PS). Signe d’une certaine volatilité LREM-EE-LV : lors des dernières européennes, un électeur Macron 2017 sur cinq a voté pour la liste Jadot.
Le «Macron show» lors du G7 à Biarritz a été largement commenté et souvent salué. Bénéficie-t-il de ce genre de séquence dans les enquêtes d’opinion ?
Les Français font crédit au président de la République d’une vraie capacité à défendre les intérêts de la France sur la scène internationale (55%). C’est même considéré comme un pilier positif de son action quand sa déconnexion avec le quotidien des Français reste une difficulté importante. D’une manière générale, les Français sont d’ailleurs plutôt bienveillants avec leur chef de l’Etat quand celui-ci agit sur la scène internationale. Mitterrand au moment de l’intervention au Koweït ou Jacques Chirac lors du «non» à la guerre en Irak ont chacun profité d’un gain de popularité, mais habituellement ce n’est pas sur ce critère que les Français jugent l’action présidentielle.
Là où les choses changent un peu, c’est que les actions de Macron hors de nos frontières ne sont pas d’ordre militaire : on pense plutôt au Sarkozy de la crise de 2008. De plus, la question écologique est au cœur de ses interventions, en France comme à l’étranger.
Même quand il agit à l’étranger, les thèmes qu’il aborde ont effectivement des conséquences nationales, que ce soit la taxation des Gafa ou la lutte contre le réchauffement climatique. Si on ne rentre pas dans le détail, la séquence du G7 donne l’image d’un président engagé, courageux et cohérent. Et cela a un impact alors que les enjeux internationaux intéressent de plus en plus les Français notamment la question écologique que vous évoquiez. Dans notre rubrique «les sujets dont les gens parlent le plus», la forêt amazonienne, fin août, émerge largement en tête devant la crise des urgences à l’hôpital.
La situation économique a, elle, toujours beaucoup pesé sur la popularité du couple exécutif. Qu’en est-il pour Emmanuel Macron ?
J’assiste depuis plusieurs semaines à quelque chose que je n’avais jamais observé sous Sarkozy ou Hollande : les Français sont de plus en plus nombreux à valider un «ça va mieux» pour reprendre l’expression lancée lors du quinquennat précédent par François Hollande. La suppression progressive de la taxe d’habitation pour l’ensemble des Français, le prélèvement à la source qui fait dire à certaines personnes que nous interrogeons qu’elles ne paient pas d’impôts en cette rentrée, la prime d’activité ou les mesures sur les heures supplémentaires ont joué positivement. Les 17 milliards injectés pour répondre à la crise des gilets jaunes ont semble-t-il eu un effet sur le pouvoir d’achat de nombreux Français, qui sont 40% à juger qu’en la matière la situation s’améliore.
Dans ces 40%, on retrouve globalement les 38% de Français qui soutiennent l’action du gouvernement. C’est la France du ça va mieux, des gens de gauche et de droite. Et plus largement, si on compare cette rentrée à celles de 2017 et surtout de 2018, il y a quelque chose de l’ordre d’une décrispation entre Macron et le pays, avec un vent de révolte qui s’est estompé sans que ses causes profondes aient disparu. Il y a bien sûr toujours des sources de mécontentement qui se manifestent, mais il n’y a plus vraiment de cristallisation sur un point en particulier, qu’il s’agisse du «président des riches» ou d’éléments liés à sa personnalité : le cocktail «mépris-arrogance-déconnexion» même si la déconnexion reste un reproche récurrent.
L’histoire récente a montré que lorsqu’un président a touché le fond dans les sondages, le quinquennat est désormais un timing trop court pour recoller les morceaux. Ce fut vrai pour Sarkozy, qui a échoué à être réélu en 2012 malgré une campagne efficace, et pour Hollande, qui n’a même pas pu concourir à un second mandat. Ce «rétablissement» sondagier de Macron que vous décriviez ne répond visiblement pas à cette règle…
Le cas Macron est inédit. Avec aujourd’hui un socle de dix points supérieur à son score du premier tour en 2017, le tout, je le répète, en ayant enrayé le mouvement «naturel» d’alternance entre une droite et une gauche successivement au pouvoir puis dans l’opposition, Emmanuel Macron peut effectivement envisager l’élection de 2022 avec un optimisme qui n’aurait pas eu de sens il y a encore quelques mois. Ce «rétablissement» a notamment été possible parce que ce président qui n’est arrimé à aucun parti historique peut agir avec plus de liberté que ses prédécesseurs, avec pas mal de ratés mais finalement une plasticité qui le sert. Il sait également jouer sur toute une palette de registres quand il s’adresse aux Français, on l’a vu au fil de la crise des gilets jaunes, où il s’est montré martial face aux débordements avant de verser presque dans le mea culpa au terme d’un grand débat où il a été omniprésent, puis d’apparaître ensuite «remonté comme un coucou» sur le front des réformes. Plusieurs publics ont pu tour à tour y trouver leur compte.
Au menu de cette rentrée, que le gouvernement affirme «apaisée», la réforme des retraites s’annonce comme le gros dossier. Comment les Français l’abordent-ils ?
Parmi les causes profondes de la fièvre qui a traversé le pays, il y a la question majeure de la peur du déclassement. Or la réforme des retraites est déjà clairement une grande source d’inquiétude pour les Français, même si ses contours ne sont pas encore clairs. Il ne faut par ailleurs pas oublier que sur le sujet des retraites, les Français ont entendu plus d’une fois que la réforme était «la der des ders», celle qui allait sauver le système : sous le gouvernement Balladur comme sous le gouvernement Fillon ou le gouvernement Ayrault.
L’entrée du haut-commissaire Jean-Paul Delevoye au gouvernement, est-ce un atout ?
Pour parler aux partenaires sociaux, sûrement, mais la plupart des Français ne le connaissent pas vraiment. Cela lui fait un point commun avec de nombreux membres du gouvernement. Pour Macron, c’est toutefois une bonne chose d’avoir nommé un référent retraites sur ce sujet très anxiogène. La manière de parler des retraites a d’ailleurs beaucoup changé: cette période de la vie est perçue comme angoissante alors qu’elle apparaissait dans le passé comme une forme d’oasis bien méritée. Et aujourd’hui toutes les générations en parlent, alors qu’avant c’était les 50 ans et plus. Il y a sur ce dossier un vrai risque d’opinion alors que 66% des Français disent ne pas faire confiance au gouvernement. La défiance est particulièrement forte chez les 50-64 ans, une catégorie qui constitue désormais une zone de force pour le Rassemblement national.
(1) Baromètre politique Ifop-Fiducial de septembre pour Paris Match et Sud Radio. Enquête menée en ligne les 29 et 30 août auprès d'un échantillon représentatif de 1 010 personnes.