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Témoignages

Justice des mineurs : juge, éducatrice et avocate témoignent

La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, présente ce mercredi son futur «code pénal des mineurs» en Conseil des ministres.
Une chambre individuelle à l’unité de PJJ de Rosny-sous-Bois. (Photo Cyril Bitton. Divergence)
publié le 10 septembre 2019 à 20h36

«Nos conditions de travail se sont dégradées»

Marielle Hauchecorne, éducatrice SNPES-PJJ en milieu ouvert à Poitiers (Vienne)

«L’administration nous explique que le milieu ouvert doit être le socle. Nous faisons le lien avec le jeune s’il est placé, nous devons être un véritable fil rouge dans son parcours. On voit les gamins, leurs familles, on rencontre les diverses structures et institutions… Tout ça nécessite beaucoup de travail et de temps, de finesse et de réflexion, en particulier pour tisser une relation de confiance avec eux, d’autant plus qu’à la PJJ, nous accompagnons des mineurs qui ne l’ont pas demandé.

«Mais ce temps se retrouve raccourci depuis plusieurs années alors que l’administration nous rajoute des missions, nous demande de plus en plus de choses. Aujourd’hui, on est à 25 jeunes en moyenne par éducateur, et nos conditions de travail se sont véritablement dégradées, de même qu’au sein des foyers. C’est extrêmement culpabilisant parce qu’on en vient à avoir l’impression de ne pas faire notre travail comme il le faudrait.

«Avec la césure prévue par la réforme entre le jugement sur la culpabilité et le jugement sur la sanction, je me demande comment nous allons faire. Comment construire en si peu de temps une relation éducative et de confiance avec ces mineurs ? C'est une hypothèse qui ne prend pas du tout en compte la temporalité psychique si spécifique aux mineurs. Et parler de «mise à l'épreuve éducative», ça me dérange profondément… Quelque part, ça s'inscrit dans la nouvelle philosophie de l'ordonnance, qui met l'accent sur le versant pénal et non plus sur celui de la protection. Comment peut-on faire de l'éducatif quand on dit «attention, je te mets à l'épreuve» ? Ça ne fonctionne pas. On a le sentiment de s'éloigner de notre mission.»

«La procédure d'instruction n'est plus adaptée»

Alice Grunenwald, juge des enfants au Havre 

«Mon rôle consiste à intervenir quand un enfant est en danger et à traiter de la délinquance des mineurs. La part entre ces deux contentieux varie en fonction des territoires, urbains ou ruraux. Le juge est un repère pour des adolescents ayant connu très peu de constance et de cohérence éducative. C’est pourquoi la bonne connaissance du parcours d’un jeune par "son" juge est importante. Devant nous, ces ados prennent des engagements, qu’ils tiennent ou non.

«Je suis très favorable à la suppression de la phase d’instruction, car cette procédure lourde et complexe n’est plus adaptée et présente peu d’intérêt. Dans 95 % des cas, les faits ne nécessitent pas d’actes d’instruction. De plus, il est fréquent que le mineur ne se présente pas : on est alors contraint de faire un mandat d’amener pour lui signifier sa mise en examen. Et pendant cette phase d’instruction, les victimes ne sont pas présentes ni indemnisées. Ainsi, la procédure de déclaration de culpabilité me paraît plus adaptée. Toutefois, la durée de la mise à l’épreuve éducative est trop courte : pour corriger son parcours, un mineur a besoin de temps, d’être accompagné. Il est inconcevable de prononcer une peine sans lui avoir laissé ce temps.

«Enfin, une réforme nécessite qu’on s’en donne les moyens. Aujourd’hui, il y a plusieurs mois d’attente à chaque stade de la procédure. Il n’est pas rare, par exemple, qu’un gamin comparaisse plusieurs fois pour des faits… jugés dans le désordre. C’est très déstabilisant. On n’arrive parfois plus à joindre les victimes - qui ont déménagé ou ne souhaitent plus venir -, une mesure de réparation peut mettre neuf mois à être appliquée. Certains mineurs réitèrent, alors même que les précédentes sanctions éducatives n’ont pas encore débuté. Il faut absolument que celles-ci soient effectives. En assistance éducative, c’est pareil : quand vous demandez le placement d’un enfant de 8 ans parce qu’il est en danger dans sa famille et qu’il y est encore trois mois plus tard… Le sentiment de gâchis est fort. Et ça, c’est notre quotidien.»

«Un manque de greffiers ou d’éducateurs»

Christelle Heurteaux, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis et coresponsable de la commission mineurs

«A Bobigny, la principale difficulté que nous rencontrons, ce sont les délais de traitement des dossiers liés au manque de moyens, qu’il s’agisse du manque de greffiers ou d’éducateurs pour exécuter les décisions des juges. Au pénal, ce retard peut parfois atteindre un an pour le tribunal pour enfants. Et faute de mise en place du suivi, le mineur peut s’enfoncer dans la délinquance.

«De façon générale, on voit beaucoup de mineurs poursuivis devant les tribunaux pour des usages de stupéfiants qui ne seraient pas retenus pour des majeurs ou feraient l’objet d’alternatives aux poursuites. Les défèrements - la réponse la plus forte du parquet - peuvent interroger, en particulier pour les mineurs non accompagnés (MNA). Ils sont souvent poursuivis pour des vols simples, qui auraient probablement fait l’objet d’un rappel à la loi pour d’autres mineurs. Certains mineurs non accompagnés font l’objet d’une procédure de présentation immédiate et sont incarcérés en attendant leur procès. A la maison d’arrêt de Villepinte, 95 % des mineurs sont en détention provisoire, contre 30 % à 40 % chez les majeurs. Dans les trois quarts des cas, ils sont en détention à la demande d’un juge des enfants et non d’un juge d’instruction.

«Il y a le sentiment très net d’une augmentation de l’incarcération des mineurs, sans qu’elle soit justifiée par une hausse de la délinquance. Des cas médiatisés, comme les rixes entre bandes rivales, ne constituent pas notre quotidien. Depuis une dizaine d’années, on note une volonté d’aller vite et de frapper fort, sans se soucier de l’âge des délinquants poursuivis et de leur besoin spécifique de protection. Cela passe par la création de procédures accélérées (la césure pénale) ou la volonté de rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs. Or, si l’aggravation de la répression est une réponse qui peut théoriquement satisfaire l’opinion publique, elle ne produit pas de résultats.»