Un pan d’histoire judiciaire ressurgit ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Nîmes. Condamné en 1983 pour des agressions sexuelles - qu’il n’a jamais reconnues - dans les calanques de Marseille, puis en 1992 pour deux viols - qu’il nie tout autant -, Luc Tangorre est à nouveau soupçonné d’agressions et attouchements sexuels sur trois mineures. Les faits se seraient produits entre les étés 2012 et 2014, à moins de 200 km de ses premiers crimes, dans la station balnéaire du Grau-du-Roi (Gard).
Luc Tangorre y passe régulièrement ses vacances depuis sa libération, le 1er septembre 2000. Mais la première plainte n'arrive que le 10 août 2014. Ce jour-là, une poignée d'enfants s'amusent dans un labyrinthe gonflable disposé sur la plage, lorsque la petite Alice (1) sort du jeu. Elle raconte à sa mère qu'un homme d'une cinquantaine d'années vient de se frotter à elle. Tangorre est interpellé quelques minutes après, à deux pas de la plage. Le suspect réfute les faits pendant sa garde à vue, et ce malgré une reconnaissance formelle de la part de plusieurs témoins. Il est placé sous contrôle judiciaire dès le 12 août 2014, avec l'interdiction de se rendre dans le département du Gard. L'affaire est très vite relayée par la presse, ainsi qu'une photo du principal suspect, dont le passé renaît aussitôt.
Houleux
Le 24 mai 1983, Luc Tangorre avait une vingtaine d'années lorsqu'il est condamné pour la première fois par la cour d'assises d'Aix-en-Provence. Il écope de quinze ans de réclusion criminelle pour une série de viols et attentats à la pudeur. Mais que ce soit avant, pendant, et même après le procès, lui et ses proches se mobilisent pour l'ériger en symbole de l'erreur judiciaire. Une chercheuse et amie de sa famille, Gisèle Tichané, publie une contre-enquête, Coupable à tout prix. Son père et sa mère s'occupent des alibis. Un comité de soutien se forme, composé de milliers de personnes, dont l'écrivaine Marguerite Duras. Le Monde publie une tribune signée par Pierre Vidal-Naquet, et dénonce une «affaire Dreyfus au petit pied». Il exhorte Robert Badinter, garde des Sceaux à l'époque, ainsi que le président de la République d'user de leur pouvoir pour faire sortir de «prison un innocent». Résultat, en 1987, François Mitterrand lui accorde une grâce partielle.
Huit mois plus tard, le spectre d’une erreur judiciaire se dissipe. A peine libéré sous contrôle judiciaire, Luc Tangorre viole deux étudiantes américaines. La Cour d’assises de Nîmes le condamne à dix-huit ans de réclusion, au terme d’un procès houleux, marqué une fois de plus par ses dénégations. Pour lui, c’est un complot de féministes américaines, de policiers ou de magistrats qui se seraient ligués…
Le 14 août 2014, une affaire supplémentaire défraie la chronique. Agée de 15 ans, une jeune fille se présente à la gendarmerie d'Egly (Essonne) accompagnée de sa sœur. Elle porte plainte et dit avoir subi des attouchements sexuels deux mois auparavant… au Grau-du-Roi. Alors qu'elle joue sur une moto dans une salle de jeux vidéo, la jeune fille sent un regard peser sur elle, puis une main sur sa cuisse, et enfin le ventre d'un homme contre sa hanche. Luc Tangorre est reconnu distinctement par les deux sœurs. Entendu un an plus tard, le suspect se défend d'avoir jamais rencontré l'adolescente qui l'accuse, soutenant avoir toujours été accompagné de sa fille dans la salle de jeux. Placé sous le statut de témoin assisté dans un premier temps, Luc Tangorre est mis en examen pour «tentative d'agressions sexuelle», puis pour «agression sexuelle aggravée». Le 20 octobre 2016, cette procédure est jointe à la première affaire du Grau-du-Roi.
Médiatisation
Mais entre-temps, une autre plainte a été déposée à Rumilly (Haute-Savoie) qui n'est pas sans lien avec le suspect. Un père signale aux gendarmes que sa fille a été agressée sexuellement par le même homme dans la station balnéaire gardoise. Cela fait plusieurs étés de suite que la famille y passait ses vacances. La fille retrouvait parfois une camarade de jeu sur la plage qui n'était autre que la fille de Luc Tangorre. Entendue au mois de juin 2015, elle explique que le père de sa copine lui aurait montré son sexe, avant de procéder à des attouchements. Les faits se situent entre le 1er juillet 2012 et le 19 juillet 2014.
Pendant ses deux gardes à vue, le suspect garde cette fois-ci le silence, mais il finit par être mis en examen pour «agression et atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans». Il affirme devant le juge être victime de sa médiatisation passée et évoque un épisode de Faites entrer l'accusé pour étayer l'argument de sa mauvaise réputation. Son avocat, Marc Roux, insiste : «Tout prend une proportion démesurée alors que les faits sont sans commune mesure avec les anciennes affaires. J'aimerais que mon client soit jugé comme tous les gens normaux.» Luc Tangorre encourt jusqu'à sept années de prison et 100 000 euros d'amende pour les agressions sexuelles, faits les plus graves qui lui sont reprochés.
(1) Le prénom a été modifié.