Les «décrocheurs» de portraits d'Emmanuel Macron continuent d'accaparer la justice. Mercredi, huit militants écologistes et le fondateur de la chaîne YouTube «Partager c'est sympa» ont comparu devant le tribunal correctionnel de Paris, jugés pour «vol en réunion» (lire ci-contre). Ce n'est que le dernier épisode d'une série débutée en février 2019 et qui promet de connaître de nombreux rebondissements. D'autres procès sont en effet prévus jusqu'en septembre 2020, attirant encore plus l'attention sur ce nouveau mode d'action consistant à décrocher les portraits officiels du président de la République dans les mairies françaises afin de dénoncer l'inaction du gouvernement face au dérèglement climatique.
A l’origine, «l’Affaire du siècle»
Tout part de la pétition «l'Affaire du siècle», commencée fin 2018 par quatre associations (Greenpeace France, Oxfam France, Fondation pour la nature et l'homme, Notre Affaire à tous) et signée par plus de 2 millions de Français, qui interpellait Emmanuel Macron et le gouvernement sur la menace du changement climatique. Face à des réponses jugées insuffisantes, les associations annoncent le 21 février leur volonté d'attaquer en justice l'Etat français pour «carence fautive». Objectif : le contraindre à respecter l'accord de Paris sur le climat. Le recours sera jugé fin 2020, au plus tôt. C'est dans ce contexte que les premiers «décrochages» surviennent.
C'est aussi le 21 février que le mouvement Action non violente-COP 21 (ANV-COP 21) lance une campagne de «désobéissance civile» intitulée «Décrochons Macron» et consistant à aller dans les hôtels de ville récupérer les portraits du chef de l'Etat. Ceci afin de dénoncer «le vide de sa politique environnementale et sociale». Les 21 et 28 février, dans trois mairies d'arrondissements parisiens, les militants passent à l'action, ce qui leur vaut le renvoi de mercredi devant le tribunal correctionnel. Ces «réquisitions» sont suivies de «réapparitions» des portraits présidentiels sur le terrain : ici à l'assemblée des gilets jaunes, là devant le chantier du contournement autoroutier de Strasbourg… L'idée ? «Lui faire voir le dérèglement climatique et l'extinction de la biodiversité», selon l'association.
Le 23 mai, l'ANV-COP 21 lance un appel pour voler 125 portraits d'ici au G7 de Biarritz, fin août. 125 comme le nombre de jours qu'il aura fallu à la France pour dépasser son empreinte écologique, c'est-à-dire les ressources naturelles que la planète peut renouveler en une année. Le 25 août, au contre-G7, à Bayonne, une quinzaine de photographies officielles sont brandies par les manifestants. Depuis, de nouvelles actions ont été menées et un 130e portrait a même été emporté ce mercredi à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
Des profils variés
A visage découvert, ils se montrent volontiers devant les caméras qui immortalisent leurs actions. Avec ou sans gilets jaunes estampillés ANV-COP 21, tous alertent sur l'urgence climatique et prônent une action non violente. Certains sont venus tout droit d'Alternatiba, un mouvement citoyen né au Pays basque, pour rejoindre la sphère «Décrochons Macron». C'est le cas de Mathilde, 22 ans, pour qui le déclencheur a été «la démission de Nicolas Hulot» du ministère de la Transition écologique, fin août 2018. «Passer à l'action est une façon de traiter mon angoisse. Et puis les marches pour le climat sont trop facilement récupérables par les politiques», explique-t-elle. Johan, 29 ans, ex-étudiant en psychologie aujourd'hui sans emploi, se fait ironique : «Risquer 500 euros d'amende pour faire une vraie campagne de communication, c'est de l'ordre de la nécessité», dit-il, lui qui revendique une «dizaine d'actions de décrochage à visage découvert».
Au-delà de l'objet, ces activistes s'attaquent à un symbole. «On décroche un président de la République incapable de prendre une décision. Si ça avait été François Hollande, c'est lui qu'on aurait décroché», lance Johan. Mais certains formulent des griefs bien plus personnels à l'encontre du chef de l'Etat. «On décroche aussi Macron puisqu'il arrive dans un contexte d'urgence absolue avec un discours complètement déconnecté de la réalité», soutient Mathilde.
La succession de décrochages semble faire des émules. Mardi, un collectif de «décrocheuses» s'est illustré à la mairie du Xe arrondissement de Paris. Derrière une banderole «Ecocide, féminicide, décrochons le système», la petite vingtaine de militantes a raflé la photo du locataire de l'Elysée. Morgane, salariée d'une association environnementale, en faisait partie. «On voulait montrer notre solidarité avec les militants d'ANV-COP 21 qui passent devant le tribunal», confie-t-elle. Présente lors de l'action, Myriam, qui prépare une thèse sur l'«écoféminisme», définit ce concept cher aux décrocheuses : «La destruction écologique n'aurait pas pu avoir lieu sans l'oppression systémique des femmes. Dans une société plus féministe, notre rapport à la nature serait plus bienveillant», veut-elle croire.
Des poursuites judiciaires en nombre, des peines mesurées
Selon ANV-COP 21, ces actions de décrochage ont provoqué 95 gardes à vue, 74 perquisitions et le déclenchement de poursuites judiciaires envers 59 militants. Accusés de «vol en réunion», les prévenus risquent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Pour l’heure, les jugements restent modérés. Dès le premier procès, à Bourg-en-Bresse (Ain), le ton était donné : 250 euros d’amende ferme pour l’un des prévenus et une amende avec sursis pour les cinq autres. A Lyon le 2 septembre, c’est une amende de 500 euros qui a été requise, tandis qu’à Strasbourg, le 26 juin, les trois militants écologistes poursuivis ont été partiellement relaxés, probablement parce que le maire était averti de l’action de décrochage.
Ces audiences constituent des vitrines pour les activistes du mouvement Décrochons Macron. Rassemblements de soutien, distributions de pancartes, chaque procès draine une foule importante, à l'image des quelque 200 personnes, selon l'Agence France-Presse, qui ont manifesté sur le parvis du tribunal de Paris mercredi matin. Parmi elles, l'ancienne ministre EE-LV Cécile Duflot, désormais directrice d'Oxfam France, a souligné que ce n'est «plus le temps d'alerter mais de passer aux actes pour marquer les esprits», tout en se demandant si «les juges vont comprendre ce que les dirigeants ne comprennent pas». D'ici à septembre 2020, douze procès de ce genre sont d'ores et déjà prévus.