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Assemblée nationale

Mis en examen, Richard Ferrand veut rester au perchoir

S'il prend acte de la décision des juges lillois dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne, le président de l'Assemblée n'entend pas démissionner. La macronie fait bloc derrière le fidèle du chef de l'Etat.
Richard Ferrand à l'Assemblée nationale lors d'une séance de questions au gouvernement, le 23 juillet. (STEPHANE DE SAKUTIN/Photo Stéphane de Sakutin. AFP)
publié le 12 septembre 2019 à 12h32
(mis à jour le 12 septembre 2019 à 16h36)

Touché mais toujours perché. Mis en examen dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne, le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, prend acte de la décision des juges d’instruction lillois qui l’ont entendu mercredi. Il ne compte pas pour autant quitter son perchoir, fauteuil dans lequel il s’est assis il y a un an.

Le communiqué de l'hôtel de Lassay est tombé dans la nuit, annonçant cette mise en examen pour des soupçons de prise illégale d'intérêts, après le classement sans suite d'une première plainte en octobre 2017, et à la suite d'une seconde plainte de l'association Anticor . Richard Ferrand estime que cette mesure qualifiée de «procédurale» va lui permettre de «se défendre en bénéficiant de tous les droits attachés à ce statut». «Le président de l'Assemblée nationale est déterminé à poursuivre la mission que lui ont confiée ses pairs et ses électeurs au service de la représentation nationale et de son pays», conclut le communiqué. Pas question de démissionner ou de se mettre en retrait.

Le souhait du député du Finistère de conserver son costume de quatrième personnage de l'Etat n'est pas une surprise. Tout juste investi par ses collègues LREM, à Tours le 10 septembre 2018, et pas encore élu par l'ensemble de l'hémicycle, celui-ci annonçait la couleur dans une interview à Libération : «Je suis attaché à la séparation des pouvoirs. Ce serait un déséquilibre total si, demain, tous les parlementaires étaient mis dans la main de la seule autorité judiciaire. […] Quoi qu'il en soit, une décision procédurale n'a pas vocation à décider de l'exercice d'un mandat parlementaire.»

Reste que la détermination de Richard Ferrand à se maintenir ouvre la polémique. Si certains, dans l’opposition, commencent à appeler à sa démission, les responsables de la macronie, respect de la présomption d’innocence en bandoulière, ont affiché leur soutien à ce proche du chef de l’Etat et marcheur de la première heure.

La séparation des pouvoirs en question

Depuis les années 90, l'usage – inauguré par le Premier ministre Pierre Bérégovoy en 1992 puis confirmé par Edouard Balladur, d'où le nom de «jurisprudence Balladur» – s'est installé : une mise en examen d'un ministre entraîne sa démission du gouvernement. Au début du quinquennat d'Emmanuel Macron, plusieurs ministres avaient même quitté leur poste avant même que ce couperet de la mise en examen ne tombe. Ce fut le cas de Richard Ferrand, tout juste nommé à la Cohésion des territoires et épinglé par le Canard enchaîné pour l'affaire immobilière des Mutuelles de Bretagne, ainsi que des ministres Modem – François Bayrou, Marielle de Sarnez et Sylvie Goulard.

Mais ce qui vaut pour un membre du gouvernement vaut-il pour le président de l'Assemblée nationale ? Au nom de la séparation des pouvoirs, l'exécutif ne peut en tout cas pas exiger sa démission. «Il n'y a pas de logique politique» à ce qu'il quitte son poste, assure Sibeth Ndiaye, sur Europe 1, distinguant un ministre «nommé» et un parlementaire «élu». La porte-parole du gouvernement dirait même plus : «Quand on est président de l'Assemblée nationale, on est élu deux fois», par les électeurs, puis par les députés. Prédisant à Richard Ferrand «des jours encore très longs» à l'hôtel de Lassay, celle-ci ajoute qu'Emmanuel Macron conserve «toute sa confiance» en lui. Ce qui, séparation des pouvoirs législatif et exécutif oblige, n'est, institutionnellement, pas tout à fait le sujet.

Mélenchon: «peut-être qu'il est tombé dans un piège»

Ministres et autres responsables de la majorité ont défilé pour prendre sa défense, entre leçon de droit et éloge de son travail à la tête de la chambre basse. «Gardons-nous de confondre instruction et condamnation», exhorte Stanislas Guerini, patron de LREM. «Une démission serait un non-sens absolu, au regard du fond du sujet comme de la situation politique», affirme le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal. «Instruction ne vaut pas jugement», abonde Benjamin Griveaux, candidat LREM pour les municipales à Paris.

Mais l’annonce tombe mal, parasitant la séquence «retraites» qu’orchestre ce jeudi le Premier ministre : Edouard Philippe intervenait en fin de matinée au Conseil économique, social et environnemental (Cese) et sera sur le plateau du JT de TF1 dans la soirée.

La majorité guette surtout les réactions de l'opposition. Va-t-elle s'engouffrer massivement dans la controverse ? Invité de France Info, le président du groupe LREM à l'Assemblée, Gilles Le Gendre, veut croire que Richard Ferrand «jouit d'une confiance et d'une estime d'une très large majorité de députés, qui dépasse le groupe majoritaire de La République en marche». Qu'ils apprécient ou non la présidence du Finistérien, les élus de l'opposition ont, dans l'ensemble, réagi avec prudence. «La mise en examen ne signe pas la culpabilité», commence le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, avant de mettre en avant «la sérénité du débat public [qui] suppose que ceux qui exercent des fonctions institutionnelles nationales démissionnent en attendant la décision de justice». Invoquant «un devoir d'exemplarité des elu-es», le numéro un du PCF, Fabien Roussel, rappelle que «les Français veulent que nous lavions plus blanc que blanc. C'est normal». Et il conclut que le président de l'Assemblée nationale «doit démissionner».

En conférence de presse, Jean-Luc Mélenchon a, lui, lancé: «peut-être que Monsieur Richard Ferrand est tombé dans un piège. (...) Il existe dans ce pays la présomption d'innocence mais voilà, le pilori est dressé». Le leader de la France insoumise, qui doit comparaître jeudi prochain, avec d'autres responsables, pour «actes d'intimidation envers l'autorité judiciaire» lors de la perquisition au siège de son parti, assure «ne plus croire» les juges.

Au sein de Les Républicains comme au Rassemblement national, les élus hésitent à réclamer la tête de Richard Ferrand. Une prudence dictée par les déboires judiciaires qu'a connu chaque formation? Julien Aubert, candidat à la présidence de LR, ne se prive d'ailleurs pas de renvoyer à l'intéressé ses critiques lors de l'affaire Fillon durant la présidentielle de 2017 et ironise sur «l'arroseur arrosé, pour ne pas dire douché ou rincé». Mais chez ceux qui ont fait la campagne de François Fillon malgré sa mise en examen, les avis sont partagés. «Juridiquement, il y a présomption d'innocence. Mais politiquement ? Comment présider, représenter l'institution, diriger des débats… dans ces conditions ?», s'interroge le député LR Philippe Gosselin. «La mise en examen (...) ne peut pas en soi suffire à demander la démission d'un mandat», ce qui conduirait à «donner au magistrat un poids absolument considérable», pointe, pour sa part, l'eurodéputé RN Nicolas Bay... lui-même mis en examen dans l'affaire des emplois présumés fictifs du RN au Parlement européen.