Touché mais toujours perché. Fort du soutien d'Emmanuel Macron et des responsables de la majorité, Richard Ferrand ne compte pas quitter son poste de président de l'Assemblée nationale où il est installé depuis un an tout juste. Malgré sa mise en examen, il se dit, par communiqué, «déterminé à poursuivre la mission que lui ont confiée ses pairs et ses électeurs au service de la représentation nationale et de son pays». Ferrand avait d'ailleurs annoncé la couleur dans une interview à Libération le 11 septembre 2018 : «Une décision procédurale n'a pas vocation à décider de l'exercice d'un mandat parlementaire.»
Reste que son attitude perturbe la rentrée politique de la majorité. Qui plus est jeudi, jour de présentation de la réforme des retraites par le Premier ministre. Le même Richard Ferrand, au début du quinquennat, n’avait-il pas dû quitter le gouvernement après sa mise en cause dans cette même affaire dite des Mutuelles de Bretagne, alors qu’il n’était pas mis en examen ? Une lecture très rigoriste de la fameuse «jurisprudence Balladur» qui veut que la mise en examen d’un ministre entraîne sa démission.
Mais ce qui vaut pour un membre du gouvernement vaut-il pour le président de l'Assemblée nationale ? L'exécutif ne peut en tout cas pas exiger son départ. «Il n'y a pas de logique politique» à ce qu'il quitte son poste, assure la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, sur Europe 1, distinguant un ministre «nommé» et un parlementaire «élu». Elle garantit que Macron «lui conserve toute sa confiance». Ce qui, séparation des pouvoirs législatif et exécutif oblige, n'est pas tout à fait le sujet.
Trouble chez les marcheurs
Ministres et responsables de la majorité ont défilé pour prendre la défense de ce pilier de la macronie, entre leçon de droit et louange de son travail au Palais-Bourbon. «Une démission serait un non-sens absolu, au regard du fond du sujet comme de la situation politique», affirme le secrétaire d'Etat Gabriel Attal. A la base, un député de la majorité reconnaît toutefois que l'affaire cause un certain trouble chez les marcheurs : «Ils disent que c'est contraire à notre promesse de 2017, que ça commence à faire beaucoup et que ça risque de perturber la campagne des municipales.»
L'opposition va-t-elle s'engouffrer dans la controverse ? Invité de France Info, le président du groupe LREM à l'Assemblée, Gilles Le Gendre, veut croire que Richard Ferrand «jouit d'une confiance et d'une estime d'une très large majorité de députés, qui dépasse le groupe majoritaire de La République en marche». De fait, à gauche comme à droite, les élus de l'opposition ont, dans l'ensemble, réagi avec circonspection. «La mise en examen ne signe pas la culpabilité», commence le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, avant de mettre en avant «la sérénité du débat public [qui] suppose que ceux qui exercent des fonctions institutionnelles nationales démissionnent en attendant la décision de justice.»
Au sein de La France insoumise, du parti Les Républicains ou du Rassemblement national, les élus hésitent à réclamer la tête de Richard Ferrand. Une prudence dictée par les déboires judiciaires qu'a connus chaque formation ? «Je ne demande rien, je ne sais rien, a éludé Jean-Luc Mélenchon lors d'une conférence de presse consacrée à ses propres ennuis judiciaires. Peut-être [que Richard Ferrand] est tombé dans un piège.» Le député LR Julien Aubert, candidat à la présidence de son parti, ne se prive d'ailleurs pas de renvoyer à l'intéressé ses critiques lors de l'affaire Fillon durant la présidentielle de 2017 et ironise sur «l'arroseur arrosé, pour ne pas dire douché ou rincé». Mais chez ceux qui ont fait la campagne de François Fillon malgré sa mise en examen, les avis sont partagés. «Juridiquement, il y a présomption d'innocence. Mais politiquement ? Comment présider, représenter l'institution, diriger des débats dans ces conditions ?» s'interroge le député Philippe Gosselin. «La mise en examen […] ne peut pas en soi suffire à demander la démission d'un mandat», ce qui conduirait à «donner au magistrat un poids absolument considérable», pointe, pour sa part, l'eurodéputé RN Nicolas Bay… lui-même mis en examen dans l'affaire des emplois présumés fictifs du RN au Parlement européen.
Homme à tout faire
Mais si la macronie fait bloc, c'est d'abord, surtout, parce que Richard Ferrand est une pièce maîtresse du dispositif majoritaire. Fidèle parmi les fidèles, il avait été, en 2016, le premier député socialiste à quitter son parti pour s'engager dans la campagne présidentielle. Militant PS depuis plus de trente ans, le quinquagénaire s'était vu confier la direction d'En Marche. Macron ne tarissait pas d'éloge sur «le bon sens» de son homme à tout faire, à la manœuvre dans la structuration des comités locaux comme dans le travail d'élaboration du programme.
A la tête d'un mouvement peuplé de trentenaires geeks surdiplômés, Ferrand est l'un des rares hommes de terrain disposant de capteurs dans le Finistère, sa terre d'élection. «Je l'avertis de ce que j'entends, de ce je vois dans les territoires et de ce que me disent les parlementaires de toutes sensibilités. Et il m'écoute», confiait-il en octobre 2018 au Journal du Dimanche, alors que couvait la révolte des gilets jaunes. Cette colère, Ferrand aurait été l'un des rares à en avoir très tôt mesuré l'intensité. Sans doute instruit par son expérience : député du Finistère, il avait été aux premières loges, en 2013, quand les bonnets rouges bretons bataillaient contre l'écotaxe que voulait imposer le gouvernement Ayrault.
Il serait, avec François Bayrou, l'un des rares à pouvoir parler franchement au chef de l'Etat. S'il est si précieux au Président, c'est aussi parce qu'il se situe au point d'équilibre de la recomposition politique. Entre le pôle droit incarné par les ex-LR (Le Maire, Darmanin) et l'aile gauche (Le Drian, Guillaume), Ferrand prétend incarner ce qu'il appelle lui-même le macronisme «canal historique».
A l'Hôtel de Lassay, Richard Ferrand recevait fin juillet une quinzaine de ministres, marcheurs de la première heure comme Julien Denormandie et Sibeth Ndiaye, recrues de la société civile comme Agnès Buzyn, Jean-Michel Blanquer, Muriel Pénicaud, ainsi que les centristes du Modem Jacqueline Gourault et Marc Fesneau. Selon un participant, son message pouvait se résumer ainsi : entre ceux qui se revendiquent d'un «Agir de droite» (le parti des juppéistes ralliés à Macron) et ceux qui envisagent de fonder un «Agir de gauche», il y a ceux «qui agissent tout court». Et qui prétendent eux aussi faire de la politique, avec la bénédiction du chef de l'Etat.