Des ombres se suivent à la file, boulevard Montparnasse, à Paris (XIVe). Depuis sept heures du matin, pour les habituels usagers du métro, les avenues ont remplacé les tapis roulants de la station Montparnasse-Bienvenüe. Seuls quelques métros circuleront, ce vendredi, dans les sous-sols de la capitale. A l'appel des principaux syndicats de la RATP (CGT, CFC CGC, Unsa RATP) qui protestent contre le projet de réforme des retraites, une dizaine de lignes étaient totalement à l'arrêt.
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A l'angle d'une brasserie, rue Vavin, Eric accueille les passagers décontenancés par ce mouvement social. «Nous sommes plusieurs cadres et agents de maîtrise à nous être portés bénévoles pour aider un peu les gens. Après tout, c'est notre mission», répète Eric, fidèle à la ligne de communication adoptée par la régie de transport. Face au grand nombre de grévistes déclarés parmi les conducteurs et les agents de maintenance, «près de 1 000 agents sont déployés sur le terrain pour assurer la sécurité, informer et orienter les voyageurs sur le réseau», assure le service client de la RATP, qui se confond en «excuses» et multiplie les offres pour pallier le manque de métro en passant des accords avec des opérateurs de trottinettes, vélos ou scooters en libre-service. Tous les partenaires de la Régie sont appelés au secours. «Ce n'est pas non plus la peine d'en faire autant», soupire l'un des passagers, à qui déplaît ce «harponnage publicitaire». «En tout cas, ce n'est pas à l'honneur du service public», ajoute-t-il, avant de filer dans un bus.
«Des gens qui partent à la retraite à 52 ans, moi, je n’en ai jamais vu»
Plus de 280 kilomètres de bouchon sont recensés par Sytadin en région parisienne, dès 8 h 30. Les embouteillages ont fait bondir les prix des courses de VTC, dont les bénéfices sont à peine majorés pour les chauffeurs qui passeront «jusqu'à trois heures pour rejoindre l'aéroport de Roissy», selon Noredine, assommé au volant de sa voiture dans l'attente d'un client.
Au même moment, plusieurs centaines de grévistes se sont rejoints devant le siège de la RATP. Certains occupent le hall du siège social de l'entreprise, quai de la Rapée, tout proche de la gare de Lyon (XIIe). Malgré quelques pétards et fumigènes, l'ambiance est détendue. «La fin des régimes spéciaux, explique Daniel Lams, délégué UNSA à la maintenance, cela représente une baisse concrète de 500 à 600 euros par mois sur nos retraites, alors si l'on se mobilise aujourd'hui, ce n'est sûrement pas pour défendre un privilège, comme on l'entend partout !» Daniel travaille dans la poussière, de nuit, pour changer les rails du métro. A 52 ans, il espère toujours pouvoir prétendre à ses 1 700 euros de retraite dans quelques années. «Des gens qui partent à la retraite à 52 ans, moi, je n'en ai jamais vu», affirme-t-il.
«C’est votre système qui est malade»
Vers midi, l'arrivée d'un ministre provoque l'attroupement. Le secrétaire d'Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, s'invite parmi les grévistes. Les salariés dévisagent l'ancien député, fraîchement nommé au gouvernement. «Le régime de retraite est malade», attaque le secrétaire d'Etat. «C'est votre système qui est malade», lui envoie un salarié, qui ne goûte pas la leçon d'économie. «Citez-moi un seul pays où les retraites ont augmenté avec le système de retraite à points ? renchérit de son côté Jacques Eliez, représentant de la CGT, qui interpelle le ministre. Si le régime général n'a jamais su se réformer, c'est votre faute, ne nous confisquez pas un bel héritage sous prétexte d'instaurer l'équité dans la misère.» Ce vendredi, le bain de foule est un passage obligé pour le secrétaire d'Etat. Et pour tous les passagers qui espèrent trouver un RER, en cet après-midi, avant l'heure de pointe. Un Londonien au flegme imperturbable revient d'une réunion à Saint-Germain-en-Laye (78), sur la ligne A. Il se dirige vers la gare du Nord, où il se rendra à pied, après un petit détour spirituel : «J'en ai profité pour aller rendre hommage à Notre-Dame.» La rentrée sociale des uns, le pèlerinage des autres…