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Religion

Le retour de Tariq Ramadan fâche dans les milieux musulmans

Accusé de viols en France et en Suisse, le théologien qui tente de reconquérir son public a choqué par ses déclarations.
Tariq Ramadan devant le palais de justice de Paris le 30 août. (Photo Martin Bureau. AFP)
publié le 13 septembre 2019 à 11h19

Le prochain rendez-vous ? Un «live», ce vendredi, à 20h30 sur les réseaux sociaux. Le théologien Tariq Ramadan, accusé par cinq femmes de viols, qui vient de publier un plaidoyer pro domo (Devoir de vérité) poursuit son opération de reconquête des milieux musulmans, en froid avec lui depuis les révélations sur sa double vie.

«Tariq n'a fait aucune amende honorable», regrette l'un de ses anciens proches. «Il a un culot monstre, de tenter de revenir sur scène», commente Abdelaziz Chaambi, un ancien compagnon de route lyonnais, en froid avec le théologien depuis une dizaine d'années. «Qu'il se taise» réclament les milieux musulmans, selon le sociologue spécialiste de l'islam Vincent Geisser, au fait de l'ambiance de la base.

Le sulfureux mais influent blogueur de Marseille Salim Laïbi n'a pas non plus raté l'ex-prédicateur. Sur son site, Le Libre penseur, très fréquenté dans les milieux communautaires, il a mis en parallèle les déclarations de Ramadan lors d'une conférence où il condamnait strictement la sodomie et celles qu'il a tenues, le 6 septembre, face à Jean-Jacques Bourdin sur BFM : «Les avis musulmans sont partagés sur cette question», a-t-il soutenu. «Ces propos ont beaucoup choqué», relève-t-on dans les milieux musulmans lyonnais qui ont contribué à son installation dans le paysage musulman français. En prononçant cette fatwa (avis juridique donné par un spécialiste de la loi islamique) toute personnelle mais destinée à le dédouaner lui-même, Tariq Ramadan a encore perdu beaucoup de crédit, la sodomie étant une pratique sexuelle réprouvée en islam.

«Répondre aux coups qu’il a reçus»

Le théologien a pris de gros risques en opérant un tonitruant retour médiatique. Pour le moment, il n'a toujours pas été auditionné ni confronté à «Brigitte» (nom d'emprunt), la femme qui l'accuse en Suisse de l'avoir violée et séquestrée une nuit entière, fin octobre 2008, dans un hôtel de Genève. Très sourcilleuse, la justice suisse ne devrait guère apprécier les déclarations de Tariq Ramadan à l'égard de la plaignante, qu'il accuse d'avoir fomenté un traquenard pour le faire tomber avec «Christelle», la deuxième femme à avoir porté plainte pour viol contre le théologien. «C'est complètement faux ; une contre-vérité de plus», ont répondu les avocats de Brigitte, Me Robert Assaël et Alec Reymond.

Ramadan s'est-il empêtré dans son calendrier ? Très vraisemblablement. «Cela n'a jamais été un tacticien, commente l'un de ses anciens proches. Il avait surtout envie de répondre aux coups qu'il a reçus.» De fait, avec son livre, l'ancien prédicateur s'expose à des plaintes en diffamation qui pourraient être très prochainement déposées, selon nos informations.

Quoi qu'il en soit, le retour du théologien sur la scène publique s'avère beaucoup plus compliqué qu'il ne l'escomptait. Peu de médias ont accepté de l'interviewer malgré les propositions de son éditeur, Les Presses du Châtelet. Tariq Ramadan est seulement intervenu mercredi sur les antennes de la radio communautaire France Maghreb 2 lors de leur émission vedette, le Grand Forum. «Je comprends la déception des uns et des autres mais je demande à tous ceux qui m'ont accompagné de remettre les choses à leur place. […] Suivait-on un homme ou servait-on un message ?» a-t-il notamment déclaré pour se dédouaner quant à sa double vie. Cette prise de position a, elle aussi, froissé dans ses anciens réseaux.

«Gros coup porté à Tariq Ramadan»

Mais pour Tariq Ramadan, le plus gros revers est venu des rangs de ses anciens alliés, à savoir les Frères musulmans qui ont grandement favorisé, par le passé, son ascension en France. Contre toute attente, la fédération Musulmans de France (ex-UOIF, la branche française des Frères musulmans) a publié, mardi en fin de journée, un communiqué se désolidarisant du théologien. «Nous nous sentons trahis par le comportement révélé par Monsieur Ramadan, comportement qui s'avère en totale contradiction avec les principes éthiques et moraux attendus d'un homme qui prône l'islam», lit-on dans le texte. «C'est un gros coup porté à Tariq Ramadan», évalue un journaliste d'un média communautaire. Dans son communiqué, Musulmans de France insiste sur la nécessaire protection du public des jeunes.

«Je ne comprends pas l’objectif du communiqué de Musulmans de France pour discuter d’un fonds moral à des fins politiques. […] Ce communiqué est destiné aux politiques et aux médias», a répondu Ramadan sur l’antenne de France Maghreb 2. En clair, le théologien accuse Musulmans de France d’arguer de sa mauvaise conduite en matière de mœurs pour l’éliminer politiquement. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre…