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Libération
Borne de recharge

Norvège : la monarchie pétrolière fait sa «révolution électrique»

Dans le pays scandinave, les politiques incitatives du gouvernement et les collectivités ont provoqué un boom des achats de voiture électriques. En 2025, plus aucun véhicule essence ne sera autorisé à la vente.
Une borne de rechargement, à Oslo, en Norvège. (Photo Guenter Fischer. Picture Alliance)
publié le 13 septembre 2019 à 20h41

Même pour une capitale scandinave, Oslo est particulièrement silencieuse. A chaque coin de rue semble glisser silencieusement une Tesla, VW e-Golf, ou autre véhicule tout électrique. Et pour cause : ces modèles électriques représentent cette année en moyenne deux tiers des achats de voitures neuves à Oslo, et 43,6 % des nouveaux achats à l’échelle nationale, contre seulement 5 % en 2006. Avec ses 5,5 millions d’habitants, la Norvège est le troisième plus grand marché de voitures électriques après la Chine et les Etats-Unis, et de loin le plus important par habitant. Ce pays est aussi le plus grand marché par habitant de Tesla, dont le modèle S3 a supplanté cette année la Nissan Leaf comme voiture la plus vendue.

«Le bâton et la carotte»

«C'est une révolution électrique, et la Norvège a montré avec quelle rapidité cette transition peut avoir lieu», se réjouit Ola Elvestuen, ministre norvégien de l'Environnement. Le contexte de ce pays est cependant unique : l'électricité y est à plus de 95 % d'origine hydraulique, et donc particulièrement propre et peu chère. De plus, il prépare cette «révolution» depuis les années 90, avec l'introduction de la suppression des taxes d'immatriculation et d'importation sur les véhicules électriques ou hybrides. «La Norvège voulait déjà faire partie des leaders environnementaux mondiaux… tout en questionnant l'impact que cela aurait sur l'industrie du gaz et du pétrole», explique Bard Lahn, chercheur à l'institut de recherche climatique Cicero. Là est l'éternelle ambivalence norvégienne, car le secteur du gaz et du pétrole représente 67 % du total des exportations et 22 % du PIB, et nourrit le plus grand fonds souverain au monde, estimé à 1 000 milliards de dollars. Pour répondre à ce dilemme, «les coalitions successives ont été désireuses de trouver un secteur qui participe à la politique climatique sans être en conflit avec l'industrie du gaz et du pétrole», continue Bard Lahn. Le secteur des transports, troisième plus grand émetteur de CO2 du pays, a été propulsé au cœur de la politique environnementale. La liste des incitations financières pour les voitures électriques n'a depuis cessé de s'allonger : exemption de la TVA, plafonnement à 50 % du prix du péage sur les routes et les ferries… Résultat, il est souvent plus avantageux d'acheter une voiture électrique qu'une voiture à essence ou diesel.

«Dans ma gamme de prix, je n'aurais jamais pu acheter une voiture à essence aussi performante à un coût aussi bas», assure ainsi Anders Wedde, 40 ans, propriétaire d'une Tesla S3 depuis février. A Oslo, les usagers de voitures électriques ne paient pas le parking et peuvent circuler dans les couloirs de bus. «L'Etat rend le prix des voitures abordable, la ville rend leur usage facile», commente Sture Portvik, en charge de la mobilité électrique à Oslo. «Il faut se mettre à la place du consommateur, plutôt que le forcer.» Cette compétitivité s'explique aussi par une taxation très forte des voitures à essence et diesel à l'achat, qui peut aller jusqu'à 100 % du prix. «Ce système de taxation différencié selon le taux de carbone émis est notre outil le plus important», analyse Ola Elvestuen. La Norvège n'ayant jamais eu d'industrie automobile nationale, ces taxes ne sont pas influencées par du lobbying. A cela s'ajoute la hausse importante du prix des péages à l'entrée des villes ces dernières années pour les véhicules polluants, mesure qui polarise de plus en plus en Norvège. Lors des élections communales et régionales du 9 septembre, les Verts ont doublé leur score à Oslo, mais le scrutin a vu l'émergence d'un nouveau parti souvent comparé aux gilets jaunes, «Action populaire contre les péages urbains», qui a reçu 16 % des voix à Bergen, deuxième plus grande ville du pays. «L'application des politiques climatiques est un exercice d'équilibriste entre le bâton et la carotte, analyse Bard Lahn. Une véritable transition nécessite le bâton, mais il faut choisir le bon moment pour que les citoyens aient le sentiment d'avoir une alternative viable.»

«Gérer ce succès»

La hausse fulgurante du nombre de voitures électriques pose d'autres défis, dont la nécessité de points de rechargement, et le coût exponentiel des incitations fiscales - 800 millions d'euros en 2018. D'autant que le gouvernement a prévu que toutes les voitures en vente devront être électriques ou hybrides en 2025… «Maintenant, il faut que nous sachions gérer ce succès, admet Ola Elvestuen. Nous nous sommes engagés à conserver l'exemption de la TVA jusqu'en 2021, puis il faudra s'adapter selon les évolutions.»