Elle sort à petits pas de l'audience qui vient de réexaminer son cas pour la troisième fois en quatre ans. Ce jeudi soir, à l'issue de six heures de débats devant la cour d'appel de Lyon, Laura Pfeiffer a l'air vannée. Brushing soigné, pantalon olive et veste noire, l'inspectrice du travail qui avait dénoncé les pressions de Tefal (groupe Seb) exercées à son encontre et relayées par son supérieur hiérarchique, vient d'être rejugée sur le fond. «Je suis soulagée que ce soit terminé, même si je suis extrêmement fatiguée, explique la quadra. Il n'y a plus qu'à croiser les doigts, j'ai envie que ça s'arrête, qu'on ait enfin une relaxe.» C'est ce qu'ont recommandé ses avocats à l'issue de leurs plaidoiries.
Accusée de «recel de correspondance électronique» et de «violation du secret professionnel», délits en théorie passibles de cinq ans de prison et de 375 000 euros d'amende, la fonctionnaire a été condamnée en appel à Chambéry, en novembre 2016, à 3 500 euros d'amende avec sursis. Avant que la Cour de cassation n'annule cette décision, dans un arrêt de septembre 2018, invoquant la nécessité de revoir l'affaire à la lumière de la loi Sapin II. Adopté deux mois après le jugement en appel de Laura Pfeiffer à Chambéry, ce texte est un début de reconnaissance, en France, du statut de lanceur d'alerte.
Ce qu'est incontestablement l'inspectrice du travail, estime l'un de ses avocats, Me Henri Leclerc. Car, explique à la cour Laura Pfeiffer, c'est bien pour la «protection» de ceux «jugés à l'avenir» qu'elle ne s'est «pas laissé le choix» de «continuer jusqu'au bout» face à la justice : «Je suis entêtée, je ne me bats pas pour moi, mais pour des principes», précise-t-elle à la fin de l'audience. Lorsque celle-ci a débuté, Laura Pfeiffer a redit à la cour ne pas s'estimer coupable des faits qui lui sont reprochés : «Quand je relis les différentes conclusions, j'ai du mal à comprendre pourquoi c'est moi qui suis à la barre, et pas Tefal ni mon ancien employeur, je trouve ça particulièrement injuste, j'estime être une victime», souligne-t-elle calmement. Avant d'ajouter : «Je n'ai fait que mon travail, j'ai seulement manqué de chance en tombant sur le mauvais responsable, qui a répercuté les pressions d'une entreprise au lieu de me défendre.»
«Les grands méchants Tefal contre la pauvre inspectrice du travail»
En 2013, l'inspectrice a mené plusieurs contrôles sur le site de Tefal, à Rumilly (Haute-Savoie), l'amenant à dénoncer l'accord sur les trente-cinq heures, vieux de treize ans et présentant des anomalies. L'initiative n'est pas du goût de l'industriel, qui n'a pas l'intention de rouvrir des négociations. Laura Pfeiffer est alors recadrée de plus en plus violemment par son supérieur, le directeur départemental du travail, au point de partir en arrêt maladie. Un message anonyme lui parvient, expliquant que sa mise à l'écart a été pilotée par de hauts cadres de Tefal, avec le concours de son chef. Pas question de froisser une entreprise «particulièrement respectueuse, voire en avance sur les conditions sociales», avance Me Joseph Aguera, l'avocat du fabricant d'électroménager, qui est surtout, avec près de 1 800 salariés au moment des faits, le premier employeur du département.
Devant la cour d'appel de Lyon, Me Aguera appelle à «laver l'honneur» de son client, à déboulonner le «pilori médiatique», ce «parquet bis qui alimente les fantasmes» : «Nous sommes les grands méchants Tefal contre la pauvre inspectrice du travail», raille-t-il durant son exposé, multipliant les insinuations à l'encontre d'une «femme à la psychologie fragile», «qui ne devient lanceur d'alerte qu'en désespoir de cause». «Au bout de la troisième audience, je suis toujours admirative de vous entendre expliquer à quel point il est normal d'entraver les actions de l'inspectrice par tous les moyens», rétorque Me Sophie Geistel, l'autre avocate de la défense. Le Conseil national de l'inspection du travail, que Laura Pfeiffer a fini par saisir, a pourtant reconnu dès 2014 la réalité des pressions subies et l'absence de soutien du ministère du Travail. Mais l'organe n'a qu'un pouvoir consultatif.
Autre grief incriminant l’inspectrice du travail : avoir transmis aux syndicats de sa branche professionnelle, afin d’assurer sa défense, les précieux documents et messages relayés par la source mystère – un informaticien de Tefal, depuis licencié pour faute lourde et également condamné en 2016 à Chambéry à 3 500 euros d’amende avec sursis. C’est encore cette même peine qu’a requis l’avocat général de la cour d’appel de Lyon à l’encontre de Laura Pfeiffer ce jeudi, refusant de lui reconnaître le statut de lanceuse d’alerte. Le jugement a été mis au délibéré au 24 octobre.