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Libération
Décryptage

Tension sur la ligne à l’extrême droite

Le Rassemblement national garde sa puissance électorale, mais se trouve toujours coincé dans ses frontières naturelles.
Dimanche, à Fréjus. «L’éruption volcanique des gilets jaunes sera suivie par d’autres éruptions, a professé Marine Le Pen. (Photo Denis Allard pour Libération.)
publié le 15 septembre 2019 à 20h51

Marine Le Pen est sur un boulevard, entend-on souvent. Dans l'impasse, constate-t-on pour l'instant. Vainqueur des dernières européennes, probable finaliste de la présidentielle si celle-ci avait lieu ces temps-ci, le RN conserve une inconstestable puissance électorale. Peu ou prou intacte même si l'image de sa présidente reste, elle, abîmée par son naufrage lors du débat d'entre-deux tours face à Emmanuel Macron. Chez l'ensemble des Français bien plus que dans les rangs des sympathisants du RN, où elle fait toujours figure de «meilleure candidate» pour 2022. Et de loin. Deux ans de Macron n'ont pas davantage fait refluer le vote lepéniste que cinq ans de Hollande.

Mais dans le même temps, le parti peine toujours à changer de dimension et à devenir une force attractive hors de ses frontières naturelles. L'arrivée d'un Thierry Mariani ne compense pas le départ d'un Florian Philippot ou l'incapacité à s'entendre durablement avec un Nicolas Dupont-Aignan. Et sur la scène européenne, l'alliance des nationaux-populistes au Parlement n'a pas vu le jour avec la force trompetée, tandis qu'aucun poste de commissaire européen n'est revenu à ce bord politique. Quant au prochain scrutin municipal et sa logique majoritaire à deux tours qui ne lui a jamais été favorable, le RN l'aborde avec une prudence qui n'a pas grand-chose à voir avec les ambitions d'une formation s'autoproclamant «premier parti de France».

«Hors les murs»

Dans cette équation politique, Marion Maréchal-Le Pen, officiellement retirée de la vie politique et de ce fait absente de la rentrée du RN à Fréjus, joue un autre jeu. En liberté, loin du parti. et avec la certitude que la conquête du pouvoir n'est envisageable que par un dépassement du seul RN, dans un grain bain «conservateur» avec la droite extrémisée, plus ou moins «hors les murs». A sa tante le vieux monde, à elle, rêvent ses soutiens, la posture au-delà des partis du candidat Macron de 2017. Il y a dix jours dans une interview «exclusive» au Figaro titrée «Tout ce qui a contribué à désunir la droite n'a plus cours», elle affirmait ainsi sa volonté de «sortir des logiques partisanes afin de briser les digues d'hier et associer […] des gens issus de courants, de familles politiques variées.» Le tout en prenant soin de se placer sur le terrain des idées et non dans un calendrier électoral : «C'est une déclaration d'indépendance de la droite vis-à-vis du progressisme, du multiculturalisme et du libre-échangisme. Une rupture, pour tourner la page de toutes les trahisons, les reniements et les confusions qui entourent depuis trop longtemps le terme de "droite", et lui redonner ses lettres de noblesse.» Manière de lancer une OPA hors des urnes sur l'hégémonie de LR à droite. Et l'ex-députée FN d'affirmer, à propos de sa participation, le 28 septembre, à une «Convention de la droite» mise sur orbite par plusieurs proches et dont elle sera la star : «Je ne l'analyse pas comme un retour. J'ai été sollicitée [et] j'ai répondu positivement parce que j'en partage les objectifs : dessiner et approfondir, par le débat et la réflexion, une vision de la société alternative au progressisme, incarné aujourd'hui par Emmanuel Macron.» Bloc contre bloc.

Manifs anti-PMA

Alors que la PMA pour toutes est actuellement au menu de l'Assemblée nationale, Marion Maréchal-Le Pen a fait savoir qu'elle participerait début octobre à la manifestation des «antis». Au sein de la direction du RN, la stratégie et même le sujet divisent. La convergence est plus évidente entre Marion Maréchal-Le Pen et un François-Xavier Bellamy, tête de liste de LR aux dernières européennes, prêchant ce dimanche que l'accès de toutes les femmes à la PMA serait «notre malédiction». Alors que deux tiers des Français y sont favorables, le fond comme la tactique partagent aussi à droite. En enfourchant ce cheval de bataille, dans la foulée de sa croisade de 2013 contre le mariage pour tous, Marion Maréchal-Le Pen, qui s'affirme plus libérale que sa tante sur le plan économique, laboure son sillon réactionnaire.

Invité à cette «Convention de la droite» dont Eric Zemmour ouvrira les débats et où Raphaël Enthoven fera office, tout comme le député LREM Aurélien Taché, de «contradicteur». Patrick Buisson, qui a pourtant beaucoup œuvré à faire dériver la droite vers l’extrême droite, a refusé de participer. Il considère que l’événement nuit à Marine Le Pen, même si Marion Maréchal-Le Pen a toujours affirmé qu’elle n’entreprendrait rien contre sa tante. Pour Buisson, LR, largement dépecé par Macron de sa frange «progressiste», n’est déjà plus et c’est à gauche que se situent les voix qui manquent pour remporter la présidentielle. Or si Marion Maréchal-Le Pen est un aspirateur à droite, elle fait figure de repoussoir absolu à gauche.