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Libération
Reportage

Manif des avocats : «Doubler nos cotisations et baisser nos retraites, c’est un cercle vicieux»

Les professions libérales protestaient lundi contre la réforme proposée par le rapport Delevoye. A Paris, des robes noires venues de 160 barreaux étaient présentes.
A Paris, lundi, dans le cortège de la manifestation des professions libérales contre la réforme des retraites.  (Photo Albert Facelly pour Libération)
par Philippine Renon, Photo Albert Facelly
publié le 16 septembre 2019 à 20h21

Des sifflets, des mégaphones, des banderoles, et aussi des robes noires, des blouses, et des pilotes en uniforme. Il est 13 heures lorsque les avocats, les personnels de santé et les pilotes de ligne commencent à se rassembler devant l’Opéra de Paris. Tous sont venus pour dénoncer la réforme des retraites entreprise par le gouvernement.

Les avocats sont majoritaires, venus de Nancy, de Bayonne, de Limoges et d'ailleurs : 160 des 164 barreaux de France étaient représentés. Sacré chiffre pour une profession qui ne manifeste pas tous les quatre matins. Mégaphone à la main, Marie-Aimée Peyron, bâtonnière de Paris, a pourtant l'air d'avoir fait ça toute sa vie : «Allô, allô, tous les avocats du barreau de Paris sont attendus derrière les banderoles, boulevard des Italiens !»

Du palais Garnier jusqu'à la place de la Nation, les mots «non-sens», «spoliation», «injustice» accourent sur les lèvres. Car une des principales mesures dénoncée par les juristes n'est autre que l'augmentation de leurs cotisations. Le rapport Delevoye envisage en effet, pour les indépendants, de les faire passer de 14 % de leurs revenus à 28 %. Pour Marie, avocate de 29 ans dans un gros cabinet, l'avenir n'est pas des plus sereins : «Doubler nos cotisations et baisser notre retraite, c'est un cercle vicieux pour nous qui arrivons déjà tard sur le marché du travail. On va devoir augmenter nos honoraires.»

Résister

Pour beaucoup, cette issue, semble inévitable. Jean-Baptiste Blanc, avocat au barreau de Marseille et président de la Fédération nationale de l'union des jeunes avocats (FNUJA), dénonce une «paupérisation sûre et certaine». Julia Katlama, avocate depuis treize ans au barreau de Paris et installée à son compte avec une collaboratrice, est aussi catégorique : «Ça va retomber sur le justiciable. Moi, c'est sûr que j'augmenterai mes honoraires. Mais dans certaines matières, les confrères ne peuvent pas les augmenter. Ça va anéantir les petites structures. Tout le monde n'est pas associé dans de gros cabinets !»

Deuxième pomme de discorde entre les avocats et Jean-Paul Delevoye : la fusion de leur régime autonome avec le régime universel. Ce qui revient à verser au pot commun 2 milliards d'euros d'économies cotisées par la Caisse nationale des barreaux de France. «Là, on touche à ce qu'on a de plus cher : notre retraite, nos cotisations, notre fonds, qu'on a géré en bon père de famille», égrène Julia Katlama. Une image dont s'empare Ugo Bernalicis, député La France insoumise du Nord et membre de la commission des lois, pour appeler à résister contre la réforme des retraites : «Avec vos régimes autonomes vous pouvez mettre en échec cette réforme car vos régimes incarnent la solidarité», lance-t-il à la foule d'avocats, infirmiers, médecins et pilotes. Malgré une volonté de faire front commun, blouses blanches et robes noires se scindent assez rapidement. Mais pas question de faire œuvre de corporatisme…

«Préserver»

«Notre propos n'est pas de refuser toute solidarité avec le corps social. Nous souhaitons préserver notre régime de base pour que nos spécificités et notre statut d'indépendant continuent d'être pris en compte. Notre régime est autonome et reverse l'équivalent de 1 400 euros par an et par avocat pour gommer les différences, notamment au bénéfice des femmes, qui ont des revenus moins importants que les hommes», argumente Marion Couffignal, présidente de l'Union des jeunes avocats de Paris (UJA). Les jeunes, eux, s'inquiètent déjà de leur avenir dans ce métier. Installée à son compte depuis peu, MEva Kucharz, 26 ans, s'interroge : «On est à peine lancés dans cette profession, qu'on doit déjà réfléchir en termes de reconversion professionnelle.» Au-delà des avocats, c'est tout le service public de la justice qui est menacé, expose Barthélemy Lemiale, avocat parisien et membre de l'Association des avocats conseils d'entreprises : «Cette réforme va toucher les cabinets les plus fragiles, dont la plupart travaillent auprès des populations déjà en difficulté pour avoir un accès réel au droit.»