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Libération
Éditorial

Incarnation

publié le 17 septembre 2019 à 20h56

Après les «juges rouges», le juge vert. L’absolution dispensée aux «décrocheurs» de portraits d’Emmanuel Macron est un signe d’époque, bon et mauvais. Positif en ce qu’il traduit la prise de conscience de la société envers l’urgence climatique, qui s’étend donc à la magistrature : tout arrive. Une nouvelle étude publiée mardi souligne le risque d’emballement catastrophique du réchauffement après 2050, ce qui léguerait aux générations futures une planète à moitié inhabitable. La question n’a rien de subalterne. Emmanuel Macron n’employant pas tous les moyens à sa disposition pour prévenir ce désastre, il est symboliquement destitué pour irresponsabilité par ces «décrocheurs» aux ardentes convictions. Quand la maison brûle, on décroche les tableaux. Comme dirait le juge lyonnais, la métaphore est légitime.

Il manque toutefois un élément au raisonnement, qui porte non sur le fond de l'affaire mais sur la méthode. Le portrait d'Emmanuel Macron n'est pas seulement celui d'un homme politique. Il représente le président de la République, c'est-à-dire bien autre chose que lui-même. On se reportera pour l'occasion à l'ouvrage classique d'Ernst Kantorowicz, les Deux Corps du roi. Le souverain est un être de chair et de circonstances, mais aussi l'incarnation de la collectivité, la référence commune, au-delà de sa politique. Dans les autres démocraties d'Europe, ces «deux corps» sont séparés : d'un côté un roi (ou une reine ou encore un président sans pouvoirs), et de l'autre un Premier ministre. En France, les deux fonctions sont confondues. Si bien que décrocher Macron, quoi qu'on pense de lui, c'est aussi décrocher la République. La cause est juste. Mais l'action n'est pas le meilleur exemple de civisme qu'on puisse trouver, serait-il vert.