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Libération
Éditorial

Héroïne

publié le 20 septembre 2019 à 20h21

On se croirait dans un film de Frank Capra. Un homme seul - Gary Cooper, James Stewart… - défie les puissances de l’argent et de la politique pour imposer sa vision de la justice et faire triompher une idée plus droite de la vie publique. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une Amérique mythique mise en scène en noir et blanc, mais de la France d’aujourd’hui. Cette fois, non un homme, mais une femme seule dénonce un scandale sanitaire, démontre la nocivité d’une molécule et, surtout, révèle les incroyables manœuvres des puissants pour cacher la vérité et protéger de pernicieux intérêts économiques, sans jamais renoncer tant que les victimes ne sont pas reconnues et indemnisées. Irène Frachon, dont on a aussi porté l’histoire à l’écran, mérite son statut d’héroïne de conte moderne. C’est le rôle du procès des laboratoires Servier qui s’ouvre lundi : décrire, preuves à l’appui, la précieuse utilité de ces héros solitaires, qu’on cherche à discréditer par tous moyens - tels Edward Snowden, Chelsea Manning ou Greta Thunberg. Et, surtout, démontrer qu’à la fin des fins, dans une société ouverte, les contre-pouvoirs finissent par jouer leur rôle. Car la faute de Servier est double. Ce richissime mastodonte du pharmaco-business est d’abord accusé d’avoir causé la mort de centaines de personnes : c’est la justice qui établira ou non sa culpabilité et décidera de la peine. Mais il a ensuite miné, par ses agissements, la confiance des citoyens dans les institutions de santé et, partant, dans les institutions tout court. L’arrêt de renvoi détaille les tactiques employées par le laboratoire, espèces sonnantes et trébuchantes à la clé, pour fausser la décision publique. Ainsi le tribunal n’aura pas seulement à sanctionner des coupables éventuels. Il lui échoit aussi, à sa place, de restaurer, ne serait-ce qu’un peu, la confiance publique.