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Procès du Mediator : la justice obligée de pousser les murs

Mediator, le procèsdossier
Pour le procès hors norme qui s’ouvre lundi, le palais de justice de Paris a imaginé un dispositif appelé à servir pour d’autres affaires.
En 2013, le procès du Mediator s'ouvre à Nanterre avant d'être renvoyé. (Photos Marc Chaumeil)
publié le 20 septembre 2019 à 20h26

Une ordonnance de renvoi de 600 pages, 4 981 victimes dont 2 684 constituées parties civiles, 376 avocats, plus de 120 témoins… Les chiffres du procès du Mediator donnent le tournis. Il faut dire que pendant trente-trois ans, le médicament de la firme Servier entraînant de graves atteintes cardiaques a été prescrit à 5 millions de personnes, donnant naissance à un des plus grands scandales sanitaires français.

A partir de lundi, 12 personnes physiques et 11 personnes morales - dont le groupe pharmaceutique et l’Agence nationale de sécurité du médicament - comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Paris. Les débats, qui s’étaleront sur six mois jusqu’en avril 2020, constituent un défi logistique et humain : comment l’autorité judiciaire anticipe-t-elle ces procès de masse ? Par quels moyens garantir la dignité et la publicité des audiences, principe fondamental de la justice pénale ? Si le procès du Mediator est loin d’être le premier du genre à avoir lieu (sang contaminé, AZF, prothèses PIP, France Télécom…), il est hors norme à plusieurs égards.

«Sa grande originalité, c'est le nombre de victimes. Historiquement, c'est complètement inédit», commente-t-on à la présidence du tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Sans parler du fait qu'un deuxième volet Mediator, portant sur les chefs «d'homicides et blessures involontaires», est encore à l'instruction avec quelque 3 700 plaignants. Autre point : le nombre d'avocats, tant à la défense que du côté des milliers de parties civiles, auxquels il est nécessaire de garantir de bonnes conditions de travail. «Deux facteurs qui rendent ce procès exceptionnellement difficile à appréhender au point de vue logistique», selon cette même source.

Gymnase

Depuis décembre 2018, quatre réunions préparatoires ont été organisées entre magistrats, avocats référents, greffiers et associations d'aide aux victimes. «Il est essentiel que la justice prenne le temps pour organiser les choses», souligne Me Charles Joseph-Oudin, un des avocats référents. Dans son cabinet, ils sont trois conseils mobilisés à temps plein sur la préparation et le suivi de ce procès chronophage. «Il faut s'occuper de chaque dossier, organiser la venue des victimes, explique celui qui défend environ 250 parties civiles. Ce procès est vraiment un challenge pour les victimes : de pouvoir être là, de vérifier que le tribunal les entende.»

Il fut envisagé, dans un premier temps, d'investir une salle extérieure au Palais de justice, comme cela s'est déjà fait. En 1998, par exemple, une salle de sport avait été louée pour l'audience, sur deux mois, d'un des plus grands procès terroristes : celui du réseau Chalabi et ses quelque 130 prévenus. Mais le lieu choisi, le gymnase des surveillants pénitentiaires de Fleury-Mérogis, avait parachevé la colère des avocats de la défense, fustigeant une «justice spectacle» peu propice à la sérénité des débats. De façon générale, le fait de louer ou construire une salle présente souvent plus d'inconvénients que d'avantages. D'abord, un coût important. «Symboliquement aussi, c'est un peu gênant dans la manière dont on peut percevoir l'œuvre de justice», estime-t-on à la présidence du tribunal de Paris. D'autant que la plupart du temps les salles d'audience se vident massivement passée l'affluence des premiers jours.

Autre solution avancée à un moment par la présidence du TGI ? Une «web TV», qui aurait permis aux parties civiles de suivre l’audience en direct depuis chez elles. Loin d’être définitivement enterrée, l’idée n’a toutefois pas été retenue pour le Mediator compte tenu du profil des victimes : elles sont pour la plupart âgées, malades, parfois isolées, et surtout très peu connectées. Etre en mesure d’héberger un maxi-procès dans des conditions optimales était une des ambitions affichées du déménagement du TGI de Paris de l’île de la Cité à la porte de Clichy. Pour l’occasion, trois salles (dont la plus grande peut contenir 250 places) ont été réquisitionnées et un système de duplex vidéo installé. Dans la salle principale, 75 robes noires pourront être accueillies. Même si au total, on ne dépasse pas le millier de places…

«Tuyaux»

Alors que les grands procès à venir des attentats terroristes de Charlie Hebdo et du 13 Novembre soulèvent les mêmes enjeux délicats, doit-on s'attendre à ce que ces formats judiciaires «fleuve» soient de plus en plus fréquents ? «Il y a d'autres monstres dans les tuyaux», glisse une source judiciaire. En matière de santé publique notamment, certains dossiers encore à l'instruction pourraient un jour ouvrir à des procès tentaculaires. «Quand on parle d'un scandale industriel, environnemental ou sanitaire, nous avons affaire à des catastrophes sérielles qui impliquent un nombre considérable de victimes», souligne Me Jean-Paul Teissonnière, avocat de 200 victimes du Mediator et également présent aux côtés de parties civiles lors du récent procès France Télécom.

Autre difficulté dans ces dossiers : les conséquences désastreuses de l’exposition aux produits toxiques ou aux médicaments surviennent souvent des années après… Un changement d’échelle qui contraint l’institution judiciaire à s’adapter.