«Ma vie a été bousillée, mais je la vis quand même.» Andrée Kosciuszko a la puissance de l'éléphant, qu'elle admire tant. Dans le salon de son pavillon de Wahagnies (Nord), le pachyderme trône en majesté de la table basse à la commode. Juste à côté du semainier contenant ses 14 cachets quotidiens et son cardiofréquencemètre. A 55 ans, cette secrétaire à l'université revient de loin. La faute au Mediator, qu'elle a gobé trois fois par jour pendant sept ans. Elle parle «parce qu'il faut que ça se sache». En 2002, elle est enceinte de son cadet quand on lui détecte un diabète. Et lui prescrit le produit phare de Servier. «J'en ai pris jusqu'à ce qu'on n'en vende plus.» Deux ans après, Andrée Kosciuszko crache du sang. Victime d'une embolie pulmonaire, la mère de famille est hospitalisée d'urgence. On lui remplace deux valves cardiaques. Elle mettra deux ans à s'en remettre. Cette coquette à la crinière virevoltante et aux yeux soulignés d'un trait de turquoise insiste sur un détail : «Pendant tout ce temps, mes cheveux ont été moches. J'en ai beaucoup perdu. Ça peut paraître stupide, mais c'est important pour moi.»
Le reste de sa vie s'écrit entre fatigue, galères médicales et batteries d'examens… A tel point qu'Andrée Kosciuszko se déplace toujours avec son épais dossier médical, au cas où. En 2015, son état s'aggrave. Le palpitant s'emballe, grimpe jusqu'à 130 pulsations/minute au repos. Puis «en 2017, c'est simple : tu as été hospitalisée sept fois et tu as vu 27 fois le cardiologue», intervient son conjoint François. Un jour, elle craque sur la table d'opération : «Tout ça à cause d'un putain de médoc…» Elle ne le sait pas encore, mais une troisième valve (sur les quatre permettant au cœur de fonctionner) commence à fuir. A l'été 2018, on lui change la valve tricuspide. Une opération très risquée. «J'ai de bons toubibs», répète-t-elle reconnaissante. Elle dit : «La souffrance, on l'a eue tous ensemble.»
Son couple n'a pas résisté, divorce en 2007. «J'étais très fatiguée. Mon ex-mari m'a soutenue, mais au fond il ne comprenait pas.» Il lui avouera : «Je n'ai pas accepté l'opération.» Elle rétorque : «C'est moi qui ait été ouverte en deux.» Loin de se laisser abattre, elle a recontacté son premier flirt. «Quand on s'est revus, je lui ai raconté mon histoire. Beaucoup d'hommes abandonnent la partie.» François est là depuis douze ans. Ses fils aussi ont trinqué. Le plus jeune s'est senti coupable. «J'étais incapable de le rassurer. Mes mots ne suffisaient pas.» Il a été placé quatre ans, a eu une scolarité chaotique. Quant à l'aîné, il n'a quitté que récemment la maison : «Il me disait : "Je partirai quand t'iras bien."» Depuis son ultime opération, la quinquagénaire va mieux et a repris le travail. Servier lui a fait une nouvelle proposition. Les négociations sont en cours.