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Libération
Témoignage

Martine Cabarbaye, 62 ans (Hautes-Pyrénées) «On regarde les choses et on ne peut plus les faire»

publié le 22 septembre 2019 à 19h51

La parole de Martine Cabarbaye est libre. Totalement libre. Un cas assez rare pour être souligné : nombre de victimes indemnisées ont dû signer des accords contraignant leur voix. Au bout du fil, la sienne chante de cet accent du Sud-Ouest où elle vit, dans un hameau non loin de Tarbes. L'ancienne exploitante agricole de 62 ans a pris du Mediator durant six ans car elle faisait des hypoglycémies récurrentes. «J'en ai pris jusqu'à six par jour. En quelques semaines, j'ai perdu 15 kilos. C'était spectaculaire.» Son mari s'inquiète. Comme elle est «très active», de son potager à son élevage de veaux sous la mère, elle ne fait pas le lien. Mais la voici sans le souffle, la fatigue croissante. «Bronchite», dit le médecin de famille. Ça ne passe pas. Un matin, elle ne parvient pas à «attraper [ses] bêtes» : «Je n'en pouvais plus.» Elle retourne chez le docteur. A l'échocardiographie, on lui découvre une fuite. Le 8 décembre 2005, opération à cœur ouvert. «Ma valve mitrale a lâché, ils ont dû en mettre une mécanique. Dès que le chirurgien m'a vue, il a dit : "Vous arrêtez ça tout de suite." Il avait déjà eu des patientes ayant eu des soucis avec le Mediator.» Martine Cabarbaye fait ensuite une péricardite. Pendant deux ans, elle prend de la cortisone, passe de 74 à 90 kilos. Elle est désormais sous anticoagulants à vie. Conséquence : il ne faut pas se cogner, au risque de développer des hématomes compressifs. «La première fois que je suis tombée, ça m'a valu dix jours d'hôpital sous morphine.» Son mari a dû bricoler leur maison. Pour qu'elle puisse se lever du lit seule, par exemple. «Quand c'est arrivé, j'étais "en pleine bourre". Et d'un coup, tout s'arrête. Le quotidien bascule de tous les côtés. Je dépendais de mon mari et de mes fils à 300 %, je ne pouvais même plus conduire. Il a fallu se réorganiser, envisager les choses différemment. Ça a été compliqué pour tout le monde.»

Martine Cabarbaye a mis du temps à «digérer» cet horizon de vie réduit, tributaire d'autrui. Sur la vie d'après, elle dit : «Je n'ai jamais récupéré à 100 % ce que j'étais… On regarde les choses et on ne peut plus les faire.» Côté finances aussi, l'agricultrice a payé le prix fort. Avec une pension invalidité «au ras des pâquerettes» : 220 euros par mois. «Si mon mari n'avait pas été là, je me serais retrouvée à la rue.» Le couple s'appuie sur la retraite (1 400 euros) de cet ex-fraiseur car la sienne est toute petite (420 euros) : «Pendant quatorze ans, je n'ai plus cotisé…» Servier lui a fait deux propositions (24 000 et 26 000 euros) qu'elle a refusées. «Même si je suis pas très connue, plaisante-elle, ma vie valait plus que ça !»

Elle a été reconnue victime auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux qui lui a proposé 300 000 euros dont elle attend le versement. Partie civile, Martine Cabarbaye suivra le procès de loin. Elle ne peut se permettre le déplacement, mais estime «important» de témoigner : «Ma parole contre ces gens-là ne pèse pas lourd, c'est pot de fer contre pot de terre. Eux continuent à vivre normalement, eux ne comptent pas à la fin du mois. J'aimerais qu'ils soient punis sévèrement. Moi, je peux parler, mais d'autres ne peuvent plus… Il faut voir les dégâts sur ceux qui restent. Comment je serai dans cinq ans, dans dix ans ?»