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Libération
EDITORIAL

Désaveu

publié le 23 septembre 2019 à 20h16

L'Académie de médecine exprime ses «réserves» devant l'extension de la PMA à toutes les femmes ; elle s'inquiète d'une «rupture anthropologique majeure» et invoque les risques courus par les «enfants sans père». Aussitôt, les anti-PMA pour toutes s'emparent de cet avis officiel pour sonner le tocsin.

Rien d'étonnant : l'Académie en question, dont la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, dit qu'elle défend une position «datée», reprend deux arguments massue brandis depuis des lustres par les opposants au mariage pour tous et à l'extension de la PMA. Comme on ne saurait se contenter de dire que l'Académie n'est qu'un aréopage de vieilles barbes, et même si son porte-parole, Jean-François Mattei, ancien ministre du gouvernement Raffarin, n'est pas un observateur neutre (il a pondu un ouvrage angoissé sur ces questions, l'Enfant oublié ou les folies génétiques), il faut aussi répondre sur le fond.

L'argument «anthropologique» use d'un mot savant - et flou - pour stigmatiser une rupture fondamentale dans l'évolution des sociétés humaines. Aussitôt, on pense à un basculement civilisationnel qui verrait des apprentis sorciers violer les lois sacrées de la nature au détriment de millions d'enfants. L'ennui, c'est que les vrais anthropologues ne souscrivent guère à cette version. Ainsi Françoise Héritier, célèbre spécialiste de la discipline, récemment disparue, soutenait-elle la PMA et le mariage pour tous. Extrait d'une de ses interventions : «Rien de ce que nous faisons ou pensons, systèmes de vie, d'attitude et de comportement, n'est issu directement de lois naturelles. Tout passe par un filtre mental, cérébral et idéel, produit d'une réflexion collective qui prend forme à un moment de notre histoire, évolue et peut encore évoluer. […] Rien de ce qui nous paraît naturel n'est naturel.»

Les anti-PMA appellent la science au secours : la science les désavoue.

L'Académie s'inquiète ensuite de la multiplication des «enfants sans père». Nouveau désaveu : la plupart des études universitaires démentent. L'une des dernières en date a été publiée le 19 juillet par le très sérieux New England Journal of Medicine. Une fois encore, celle-ci conclut que les enfants élevés par des mères lesbiennes n'ont pas plus de troubles psychiques que ceux ayant grandi dans une famille hétéroparentale. Clair et net. De là à penser que les scrupules «anthropologiques» des burgraves de l'Académie de médecine ne sont que l'habillage savant de préjugés racornis, il n'y a qu'un pas.