«Allez, on charge d'abord la salle 203», lâche, d'un ton martial, un gendarme. Pas un instant à perdre. Dans une heure, le procès du Mediator doit s'ouvrir. Et c'est une organisation au carré que le tribunal de grande instance de Paris a mis en place : quelque 2 600 parties civiles, 23 prévenus, 376 avocats et plus de 100 témoins sont attendus.
Et ce lundi, pas un grain de sable. Tout fonctionne parfaitement. Les uns comme les autres ont pu trouver leur place. «Ce procès s'ouvre presque dix ans après la suspension de la commercialisation du Mediator, huit ans après l'ouverture d'une information judiciaire», a expliqué en tout début d'audience la présidente, Sylvie Daunis, d'une voix menue. «Le tribunal est conscient des sentiments d'impatience et de frustration.» Puis : «Certains se sont posé la question de savoir si ce procès était utile. Il appartient aux sociologues et à chaque citoyen d'y répondre, pas au tribunal. Ce procès était incontournable à partir du moment où les juges d'instruction ont décidé qu'il y avait suffisamment de charges contre les prévenus pour les renvoyer devant le tribunal.» Des mots sages et clairs. «Le tribunal est là pour dire le droit, avec toute l'aridité que cela suppose. Nous sommes là pour comprendre, et je rappelle que toute personne est présumée innocente» avant que la justice ne tranche. Puis elle a conclu par ces mots de Mark Twain : «Le danger ce n'est pas ce qu'on ignore. C'est ce qu'on tient pour certain et qui ne l'est pas.»
Etrange atmosphère
Le silence est impressionnant dans la salle, nul ne sachant trop vers quel horizon va pencher ce procès unique. Sera-t-il centré uniquement sur la mise en cause des laboratoires Servier ? Ou bien va-t-il déborder vers une critique du monde des experts et des politiques ? Et quid des victimes, pour la plupart tenues au silence en raison de clauses de confidentialité en raison de l'indemnisation ? Sauront-elles se faire aussi entendre ?
Tout reste ouvert. Sur le banc des prévenus, quelques absents. Bien sûr, le patron fondateur Jacques Servier, mort en 2014, mais aussi le professeur Jean-Philippe Alexandre, personnage clé du dossier qui fut le grand pharmacologue de ces années-là, respecté de tous. Celui qui a laissé faire aussi. Il serait, selon son avocat, «très malade et pas en état de comparaître». Il n'empêche, c'est tout un monde qui se retrouve ce lundi : experts, victimes et prévenus. Il flotte une étrange atmosphère. Les uns comme les autres se cherchent ou s'évitent du regard. A côté des prévenus, quelques dizaines de victimes et proches de victimes sont noyées dans le public, comme Lisa Bousingot, dont la mère est morte à cause du Mediator et qui a voulu être là, «de manière symbolique». D'autres malades se disent «désabusés» et n'ont pas fait pas le déplacement.
Le procès monstre qui s’ouvre ce lundi n’aurait pas été possible sans la ténacité de la pneumologue Irène Frachon qui, la première, a alerté sur les agissements des laboratoires Servier. Photo Marc Chaumeil
Rien de décisif cette semaine
Un peu plus loin, se mélangent des témoins et des accusés. On retrouve tous les anciens directeurs de l’Agence du médicament, certains manifestement très en peine. Le docteur Chiche, qui fut le tout premier médecin à pointer un lien entre le Mediator et la survenue de valvulopathie, s’impatiente. Il attend son tour, cette première journée étant uniquement consacrée à l’organisation du procès et à l’appel de la centaine de témoins. Le professeur Claude Griscelli, hier grande figure de la médecine, aujourd’hui accusé de corruption, baisse la tête, ne sait trop qui regarder, puis va s’asseoir. On assiste à un ballet étrange et attentif.
De fait, il ne se passera rien de décisif cette première semaine. Le groupe Servier a déposé trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui seront examinées avec d’autres demandes de nullité dans la semaine. Et ce n’est que début octobre que commencera vraiment ce procès, et cela jusqu’en avril 2020.