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Indemnités prud'homales : la cour d'appel de Reims fragilise l'application des barèmes

Les barèmes qui limitent les indemnités versées aux salariés licenciés abusivement ne sont pas théoriquement incompatibles avec les textes signés par la France, mais cela n'empêche pas des salariés de les attaquer, estime la cour dans le premier arrêt rendu en appel depuis le début de la rébellion prud'homale contre les ordonnances Macron.
Le tribunal des Prud'hommes de Marseille. (Patrick GHERDOUSSI/Photo Patrick Gherdoussi. Divergence)
publié le 25 septembre 2019 à 18h06

La bataille autour du plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif continue. Deux cours d'appel avaient à se prononcer pour la première fois ce mercredi sur le cas de salariés contestant leurs licenciements et réclamant une indemnisation allant au-delà des barèmes appliqués depuis l'entrée en vigueur des ordonnances Macron de 2017. Depuis près d'un an, ces barèmes font l'objet d'une fronde de la part de certains conseils prud'homaux, qui estiment qu'ils outrepassent deux textes internationaux ratifiés par la France: la Charte sociale européenne et la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT). Ceux-ci défendent en effet le principe d'une «réparation appropriée» en cas de licenciement injustifié, laquelle serait rendue impossible par un barème qui ne prend en compte que l'ancienneté des salariés et la taille de l'entreprise pour déterminer les sommes à verser.

Les deux cours d'appel dont les arrêts étaient attendus ce mercredi sont celles de Paris et Reims. La première a finalement reporté son délibéré au 30 octobre. La seconde, qui devait se prononcer sur un jugement rendu en décembre 2018 par le conseil des prud'hommes de Troyes – celui où la fronde a débuté – a quant à elle rendu un arrêt que Libération a pu consulter, et qui s'avère subtil.

1/ D'abord, elle estime que le plafonnement des indemnités «est de nature à affecter les conditions d'exercice des droits consacrés par [les] textes» ratifiés par la France – autrement dit, qu'il peut effectivement empêcher l'indemnisation «adéquate» d'un salarié licencié.

2/ Mais elle avance aussi que, d'un point de vue strictement théorique («in abstracto», écrit-elle), ces barèmes ne sont pas pourtant inconventionnels : «Le contrôle de conventionnalité exercé de façon objective et abstraite sur l'ensemble du dispositif, pris dans sa globalité, et non tranche par tranche, conduit à conclure […] à la conventionnalité de celui-ci.»

3/ Pour autant, affirme-t-elle enfin, rien n'empêche d'étudier au cas par cas si ce plafonnement peut avoir pour conséquence une atteinte «disproportionnée» aux droits d'un salarié. Qui peut donc invoquer les textes internationaux dans un conflit avec son ancien employeur, s'il estime son préjudice trop grand par rapport aux indemnités permises par la loi: «Le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d'un dispositif jugé conventionnel, d'apprécier s'il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c'est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché. La recherche de proportionnalité, entendue cette fois "in concreto" et non "in abstracto", doit toutefois avoir été demandée par le salarié.»

«Motivation alambiquée»

En somme, la cour distingue le débat théorique sur les textes de leur application pratique. Résultat : dans cette affaire, elle a décidé d'accorder des indemnités entrant dans le cadre du barème car, selon elle, la salariée n'avait pas elle-même demandé une recherche de proportionnalité «in concreto», et un juge ne peut pas le faire lui-même. C'est-à-dire qu'aux yeux de la cour, l'argument de la défense a trop porté sur l'interprétation des textes et pas assez sur la situation concrète de la plaignante. Une analyse que conteste Me Hélène Melmi, l'avocate de la salariée, mais elle voit tout de même dans cet arrêt «une grande brèche ouverte pour nous inviter à protester dans certaines situations».

La CGT a également salué dans un communiqué la «brèche» ouverte par cet arrêt par lequel et, «malgré une motivation alambiquée», «la cour d'appel de Reims résiste et refuse de se ranger à l'avis de la Cour de cassation». En juillet, celle-ci avait en effet estimé, à l'issue d'une session plénière, que la Charte sociale européenne n'était pas d'application directe «dans un litige entre particuliers» et que les textes français «sont compatibles» avec la Convention n°158 de l'OIT. Elle n'avait alors été saisie que pour avis, et n'a pas encore eu à se prononcer sur un cas concret de licenciement.