La BNP Paribas est attaquée en justice pour «complicité de génocide, de torture, de crime contre l'humanité», et pour «blanchiment et recel de ces crimes» par neuf victimes du régime soudanais. La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), qui les soutient en se portant partie civile avec l'organisation caritative Project Expedite Justice, tenait une conférence de presse ce jeudi à Paris. «Quand il y a crime de masse, il y a financement. Or, on oublie trop souvent de remonter à la source. Cette plainte est déposée au nom des victimes et vise à mettre en jeu la responsabilité des entreprises dans les exactions commises au Soudan. Il est trop facile de s'abriter derrière le fait de faire du commerce», explique Patrick Baudouin, avocat au barreau de Paris et président d'honneur de la FIDH.
Demander des comptes aux bourreaux
Accusée d'avoir enfreint l'embargo américain qui limitait les transactions financières avec plusieurs pays dont le Soudan, «la banque d'un monde qui change» a été condamnée par la justice américaine à payer une amende record de 8,9 milliards de dollars, le 1er mai 2015. A l'époque, la première banque de la zone euro plaide coupable d'avoir contourné les sanctions internationales. Mais le lien n'est pas encore fait entre les profits générés et le génocide perpétré au Soudan. La condamnation américaine sert donc de socle à la plainte qui vient d'être déposée devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris. «On ne s'achète pas une bonne conduite en payant, ce n'est pas suffisant», estime Patrick Baudouin. L'avocate fondatrice du Project Expedite Justice, Cynthia Tai, ajoute que «le Congrès a alloué ces fonds aux victimes du 11 Septembre. Laissés sans compensation, nous avons exploré les moyens de donner une forme de justice aux victimes soudanaises».
«Ce n'est pas de l'ordre de la vengeance, mais bien de la justice de voir des victimes en mesure de demander des comptes à leurs bourreaux», recadre Michel Tubiana, avocat et président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme. L'activiste Abdalhaleim Hassan a lui-même subi les crimes commis par le régime de l'ex-dictateur Omar el-Béchir, avec la complicité présumée de la BNP, au moins entre 2002 et 2008. «Je me rappelle que les Janjawids [milice soutenue par El-Béchir, ndlr] ont attaqué mon village en 2003. J'ai perdu plusieurs membres de ma famille, témoigne Hassan, qui vit désormais aux Etats-Unis. Mais ce que j'avais vu était terrible. Comment rester silencieux ? J'ai été arrêté trois fois, battu et maltraité. Mais je ne me considère plus comme une victime aujourd'hui, car je me bats pour la liberté et la démocratie partout dans le monde.» Applaudissements dans la salle.
«Ils savaient que le Soudan n’était pas fréquentable»
L'avocat Emmanuel Daoud et une dizaine de collaborateurs se consacrent depuis presque deux ans à ce dossier. Etait-il possible d'attaquer la BNP en justice ? «La réponse était oui, explique à Libération l'avocat spécialiste du droit international, car les auteurs présumés sont des personnes morales de droit français et les faits de complicités ont été commis sur le territoire français.» PDG de la banque entre 2000 et 2003, puis président jusqu'en 2015, Michel Pébereau fait partie de ces personnes morales. «Les membres du conseil d'administration et tous les membres du management ont caché, dissimulé les transactions car ils savaient bien que le Soudan n'était pas fréquentable», insiste Emmanuel Daoud, qui compte bien sur la justice française pour établir une responsabilité pénale. Contactée par Libération, la BNP Paribas explique n'avoir pas encore eu connaissance de la plainte, et complète : «En tout état de cause, nous ne commentons pas les procédures judiciaires.»