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Libération
Jacques Chirac

Le maire et le pépère de Paris

Pendant son règne à l’hôtel de ville, celui qui se voulait un édile simple et populaire s’est notamment emparé du réaménagement des Halles et de la gestion des flux routiers, non sans quelques ratés.
Jacques Chirac, dans son bureau de l’hôtel de ville de Paris, le 24 novembre 1982. (Photo KEYSTONE. GAMMA-RAPHO)
publié le 26 septembre 2019 à 20h11

Le 15 mai 1990, lors d'une conférence de presse, Jacques Chirac, maire de Paris, faisait cette forte promesse : «Dans trois ans, j'irai me baigner dans la Seine devant témoins !» Dans la salle, un humoriste a crié : «C'est défendu !» Le maire a ri de bon cœur. Car il était comme ça, Jacques Chirac, à la tête de la capitale de la France, pas bégueule, entrant chez les commerçants à Paris comme en Corrèze, félicitant le taulier pour «la bonne odeur de charcutaille, et si tout le monde mangeait autant de charcutaille que moi, etc.»

En 1977, quand Jacques Chirac devient le premier maire de Paris élu au suffrage universel, il inaugure le poste en traitant la commune comme un agrégat de villages. L'unité d'action est le quartier, la rue, le quotidien. Chirac se veut «un maire comme les autres», qui inaugure, médaille les mères de famille et les restaurants chinois, fête le beaujolais nouveau et utilise le journal municipal comme sa tribune personnelle.

Embouteillages

Le réseau local des élus d’arrondissement, renforcé par le «grand chelem» de 1983, lorsque la droite emporte toutes les mairies, lui permet de gérer les rares attributions de HLM depuis l’hôtel de ville tandis que les aussi rares places de crèche se décrochent plus facilement avec l’intervention d’un élu que sans.

Dans cette gestion pépère, malheureusement, Jacques Chirac doit affronter quelques sujets qui fâchent. Dans ces cas-là, le maire cherche d'abord la solution technique qui lui épargnera d'avoir à prendre une décision impopulaire. Les trottoirs de Paris sont couverts de crottes de chien. Perdre les voix des propriétaires en les verbalisant ? Jean-Claude Decaux, vieil ami de Chirac, lui fournit la solution sans douleur : la motocrottes. Cet aspirateur greffé sur un deux-roues motorisé, rebaptisé «la chiraclette» par les mauvaises langues, ne ramassera jamais plus de 20 % des déjections tout en coûtant un bras.

Autre problème délicat : la circulation automobile. Comment juguler les embouteillages sans se mettre les automobilistes à dos ? Cette fois-ci, la solution est apportée par GTM, une entreprise de travaux publics. L’idée est bête comme chou : il suffit de mettre les voitures en sous-sol pour ne plus les avoir en surface. Le projet de Liaison automobile souterraine expresse régionale, dit Laser, vaste et onéreux réseau de tunnels, va-t-il épargner à Jacques Chirac de pénibles choix de limitation du trafic ? GTM y croit, de même que son concurrent Bouygues, qui présente un autre projet du même style. Devant l’énormité des coûts et l’inefficacité annoncée du dispositif, tout s’écroule.

Mais le maire n’a pas renoncé à protéger le conducteur. Dans la bonne lignée d’un Pompidou qui pensait qu’il fallait adapter la ville à la voiture, Chirac entérine la création d’un réseau d’«axes rouges» avec feux régulés et priorité au flux automobile. Quelques accidents de piétons plus tard, ils seront abandonnés.

Architectes

Mais avec l'urbanisme, les problèmes sont encore plus costauds. A peine élu maire, Chirac annule le réaménagement des Halles, confié par Valéry Giscard d'Estaing au Catalan Ricardo Bofill, et proclame : «L'architecte des Halles, c'est moi !» Phrase malheureuse au vu du résultat. Toutefois, si Jacques Chirac n'est pas un urbaniste éclairé, il laisse quand même faire ceux qui savent. Pendant son règne, la Régie immobilière de la Ville de Paris rénove la commande architecturale du logement et lance toute une nouvelle génération d'architectes qui sont encore les pointures d'aujourd'hui. Et l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) devient une agence de référence.

Enfin, il faut reconnaître que sur les grands travaux de François Mitterrand, Jacques Chirac l'aura jouée fine. En particulier pour le Grand Louvre. Vu l'ambiance politique du moment, il aurait très bien pu soutenir la croisade de Michel Caldaguès, maire RPR du Ier arrondissement en guerre contre ce «parc d'attractions». A la place, il prête une oreille bienveillante à Claude Pompidou, envoyée par Jack Lang en madame bons offices, reçoit Ieoh Ming Pei et, plus tard, offrira à l'Etat le terrain de la future BNF. Mais quel «maire comme les autres» aurait refusé de tels cadeaux pour sa ville ?