Intouchable Chirac. Depuis son départ de l’Elysée, le temps a progressivement soustrait à la critique l’ex-chef de l’Etat, disparu jeudi et célébré en consensuelle incarnation de l’esprit national. Rien, peut-être, ne le révèle mieux que les réactions issues de l’ex-Front national : elles sont remarquables de modération à l’égard d’un Chirac qu’il a longtemps désigné comme son pire adversaire.
«Simagrées». Pour Marine Le Pen, «malgré toutes les divergences que l'on pouvait avoir avec Jacques Chirac, il aura été un grand amoureux de l'outre-mer et le président capable de s'opposer à la folie de la guerre en Irak, renouant avec la traditionnelle position d'équilibre et de diplomatie de la France». «Sa disparition clôture l'ère des présidents de la République qui étaient encore des présidents de la République», renchérit le député européen Gilbert Collard. Plus ambivalent, Jean-Marie Le Pen s'est fendu sur Twitter d'un message à double détente. «Mort, même l'ennemi a droit au respect», écrit l'adversaire malheureux de Chirac au second tour de la présidentielle de 2002, Chirac qui avait refusé tout débat d'entre-deux-tours. «J'étais à la fois un nazi et un orateur sans sérieux, on refusait de débattre avec moi et en même temps, on me reprochait d'occuper l'espace médiatique», écrit le père Le Pen dans le deuxième tome de ses mémoires, sorti jeudi.
Si l'attitude de Jacques Chirac vis-à-vis de l'extrême droite est encore incertaine dans les années 80, si ses propos de 1991 sur «le bruit et l'odeur» ont été dénoncés pour leur connotation xénophobe, l'ex-chef de l'Etat s'est toujours opposé à un accord national entre la droite et le FN, avant de se faire le premier procureur du parti d'extrême droite. S'attirant en retour une détestation toute particulière de la part de Jean-Marie Le Pen. «C'était un homme de gauche acquis à la mystique du grand remplacement malgré ses simagrées électoralistes», tacle-t-il dans ses mémoires.
Pour le patron du Front national, le Chirac des années 90 incarne toutes les trahisons d'une droite acquise au «mondialisme» et ne mérite qu'opprobre : Chirac, ce «cocu pathétique», cette «girouette qui marche aux sondages», «aux responsabilités écrasantes dans une série de drames, dont le sang contaminé et l'immigration»… Lorsque le second tour de la présidentielle 1995 oppose le candidat du RPR au socialiste Lionel Jospin, Le Pen refuse de choisir, appelant à «rendre Chirac au parti de l'étranger» et jugeant que «Chirac, c'est Jospin en pire».
«Poison». En 2002, avec plus de 82 % des voix, le président sortant remportera une victoire écrasante. Pour le chef frontiste, déjà affaibli par la scission mégrétiste, c'est le début de la fin : s'il dirigera encore le parti pendant neuf ans, la question de sa succession est désormais ouverte et il subira, à la présidentielle suivante, une très lourde défaite. Quant à Jacques Chirac, il consacrera une partie de sa dernière allocution télévisée, en 2007, à dénoncer l'extrême droite. «Ne composez jamais avec le racisme, l'extrémisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre […]. C'est un poison, il divise, il pervertit, il détruit.»