Gérald Thomassin a disparu. Son frère cadet, Jérôme Thomassin, très inquiet, veut qu'on insiste bien sur ces mots parce que «la police doit se bouger», parce que «ce n'est pas normal». Il n'arrête pas de refaire le film pour tenter de combler l'ellipse : le 28 août, celui que le monde du cinéma a considéré comme l'un des acteurs les plus prometteurs après son rôle dans le Petit Criminel (1990), et que la justice suspecte de meurtre, devait se rendre à Lyon pour répondre à une convocation. Il est monté dans le train à Rochefort (Charente-Maritime), où il vit, mais n'est jamais réapparu, comme l'avait raconté le Parisien.
Selon nos informations, une enquête pour disparition inquiétante a été ouverte par le parquet de La Rochelle le 7 septembre après le signalement de son colocataire. Seule certitude : il a été vu pour la dernière fois lors d’un contrôle de billet entre La Rochelle et Nantes, vers 10 heures. Que s’est-il passé ensuite ? A-t-il fait une mauvaise rencontre ? Ou est-ce une simple dérobade ?
«Je sais que pour lui ce rendez-vous, c'était le bout du tunnel, il était heureux d'y aller», soutient son frère, cuisinier dans un restaurant à Foix (Ariège), même s'il n'a plus de nouvelles directes de lui depuis près d'un an. L'un de ses avocats, Me Antoine Vey, confirme : Gérald Thomassin, 45 ans, a toujours honoré ses convocations.
L'affaire remonte à 2008. A l'époque, l'acteur vit dans l'Ain, à Montréal-la-Cluse, une ville de 3 500 habitants, dans un immeuble où se croisent gens de passage et cabossés de la vie. Il a alors 34 ans, vient de terminer le tournage de son dernier film (le Premier venu) et erre entre alcoolisme et toxicomanie. Le 19 décembre, le corps de Catherine Burgod, 41 ans, est découvert dans le bureau de Poste. Mère de deux enfants et enceinte d'un troisième, elle a été tuée de 28 coups de couteau. 2 000 euros ont disparu. Personne n'a rien vu, rien entendu. Au fil des mois, la cellule d'enquête de la gendarmerie abandonne les pistes les unes après les autres.
César
En 2013, Gérald Thomassin est arrêté à Rochefort, où il vit dans un hébergement d'urgence, et mis en examen pour «vol à main armée et homicide volontaire sur personne chargée du service public». Les éléments à charge se résument ainsi : on l'a vu pleurer sur la tombe de la victime et il a avoué le crime à son frère lors d'une conversation téléphonique. Le Monde la restitue : «Je vais dire que c'est moi qui l'ai tué. Je ne suis pas coupable, mais comme ça, je saurai la vraie histoire.» «Il était 23 heures, il était complètement bourré. Je lui ai dit "arrête de dire ça, t'es pas Colombo"», se souvient Jérôme Thomassin. Dans une interview au Progrès en 2015, Gérald Thomassin confirme : «J'étais toxico, 16 milligrammes de Subutex par jour, j'avais toujours une canette à la main, je ne travaillais pas.» Et d'ajouter : «Je suis un marginal, j'assume, mais pas un meurtrier.»
Ses aveux éméchés lui vaudront deux ans de détention provisoire avant d'être placé sous contrôle judiciaire. Par la suite, le dossier va connaître aléas de procédures et rebondissements en série. En 2017, Anthony V., un marginal et toxicomane, est mis en examen pour «complicité de meurtre aggravé». Puis, en 2018, Mamadou D., ambulancier dans la région, devient le suspect numéro 1 après que son ADN a été retrouvé sur la scène de crime. Sans que Thomassin ne soit disculpé pour autant.
Arrivé au bout de son enquête, le juge d'instruction avait organisé une confrontation finale entre les trois hommes, le 29 août. Elle aura eu lieu en l'absence de Gérald Thomassin. Contacté par Libé, Jacques, son oncle paternel, précise : «Il me parlait souvent de l'affaire, il lui tardait que ça soit fini, il en avait marre. Ça lui pesait vraiment lourd.» De quelques mots bourrus, il évoque ce «petit jeune homme poli» qu'il a hébergé quand il avait 16-17 ans, alors qu'il commençait sa carrière. Le cinéaste Jacques Doillon l'avait repéré au cours d'un casting dans les foyers de la Ddass pour jouer dans le Petit Criminel, rôle qui lui vaudra le césar du meilleur espoir masculin. «Taillé dans la chair même du cinéma», décrira joliment Denis Podalydès dans le Monde, commentant cette célèbre photo où on voit le jeune acteur à la beauté brute, cigarette au bec, sorte «d'ange voyou en plein ciel». «Il me disait : "Ça me casse la gueule cette histoire", poursuit Jérôme Thomassin. Je suis sûr qu'il est innocent, je l'ai dit à la police quand ils sont venus me voir en 2014.»
«Menaces»
Les deux frères ont grandi ensemble entre 1981 et 1988 dans une famille d'accueil en Seine-et-Marne - dont le cadet énumère des images d'horreur : enfermés au sous-sol, battus, dénutris - avant d'être séparés à l'adolescence. «C'est simple, Gérald, c'est une boîte à conneries», dit-il en évoquant 2002, quand son frère vivait près de chez lui à Marennes (Charente-Maritime) dans une caravane. L'alcool, les bêtises, les gendarmes qui venaient tous les jours à cause des frasques de son doberman Mafia, la chute d'un toit…
En 2017, Jérôme Thomassin l'hébergera pendant un mois avant de le mettre à la porte car «il passait ses journées à boire du whisky, regarder des films et traîner avec des zonards». Dernièrement, Gérald Thomassin était retourné à Rochefort, faisant la manche pendant quelque temps, puis hébergé par un ami. «C'est un fragile», soupire son frère qui a «peur qu'on le retrouve horizontalement». Son oncle insiste : «Au mois de février, il m'a parlé de menaces, un homme lui aurait dit : "On ne se connaît pas mais on va se revoir."» La Direction centrale de la police judiciaire poursuit toujours les investigations. Selon le parquet, il n'y a pour le moment «aucun signe» de Gérald Thomassin.