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Libération
Témoignage

Christine Albanel : «Il était assez anxieux avant de prononcer un discours important»

L’ancienne ministre de la Culture a été la plume de Jacques Chirac. Elle a écrit deux de ses allocutions les plus mémorables : celle du Vél d’Hiv et l’hommage au soir de la mort de Mitterrand.
Jacques Chirac, le 25 avril 1975, à la mairie de Dunkerque. (-/Photo AFP)
publié le 29 septembre 2019 à 20h21

«Le soir du 8 janvier 1996, quand je l’ai vu qui rendait hommage à François Mitterrand, il m’a semblé que Jacques Chirac entrait vraiment dans la fonction présidentielle. Sept mois plus tôt, il avait quitté l’Hôtel de Ville, avec ses cartons toujours entreposés à l’Elysée.

«Ce jour-là, quand j'arrive vers 9 heures à l'Elysée, on me dit que le Président veut me voir. Je le retrouve dans son bureau, où il était en compagnie de sa fille Claude et de son conseiller Jacques Pilhan. Jacques Chirac me dit qu'il s'exprimera le soir même. Il me demande de lui écrire un discours : il le veut pour midi. A mon bureau, j'écris les trois premières lignes. Puis je dicte la suite à ma secrétaire. Quand je lui présente mon texte, le Président le lit à voix haute. Dans mon souvenir, nous sommes peu nombreux autour de lui. Outre Claude et Pillhan, il y a probablement Maurice Ulrich et Dominique de Villepin. Normalement, pour ces séances de relecture, il y a une dizaine de personnes, ce qui donne souvent lieu à de nombreuses corrections. Chirac guettait les réactions de ses conseillers, tout particulièrement celles d'Ulrich. Il suffisait que ce dernier fasse la moue pour qu'il lui demande : "Maurice, qu'est-ce qui vous dérange ?"

«Jacques Chirac était assez anxieux quand il devait prononcer un discours important. Il était très rassuré quand cela lui convenait. Pour cet hommage à Mitterrand, c'était le cas. Il n'a pratiquement rien changé à ce que je lui ai proposé. Il ne m'avait pas donné de consignes particulières. Il me faisait confiance. Quand j'écris de Mitterrand qu'il "débordait sa vie", c'est aussi une façon de parler de Chirac.

«Le discours prononcé le 16 juillet 1995 pour la commémoration de la rafle du Vél d'Hiv a, lui aussi, échappé à ces séances de relecture collective qui finissaient, c'est vrai, par édulcorer le texte original. C'est que dans la nomenclature de l'Elysée, ce texte entrait dans la catégorie des "discours protocolaires" qui ne sont pas considérés comme sensibles politiquement. Nul doute que si ce texte avait fait l'objet d'une relecture, certains à l'Elysée auraient probablement tiqué. De nombreux gaullistes [dont Philippe Séguin, ndlr] n'étaient pas d'accord avec la reconnaissance d'une responsabilité de l'Etat français dans les déportations. Chirac avait promis au Crif de prendre la parole là où Mitterrand s'était fait siffler quatorze ans plus tôt.

«Pour l’écriture des discours, il me laissait une grande liberté de ton. C’était quelqu’un à qui l’on pouvait dire les choses. Qui accueillait bien plus volontiers les critiques que les compliments. D’autant qu’il ne se trouvait pas très bon et qu’il portait souvent des jugements sévères sur lui-même. Il était bien plus facile de parler librement devant Chirac que devant Mitterrand ou Sarkozy.

«Pour relire le discours du Vél d'Hiv, nous ne sommes que tous les deux, le Président et moi. Après lecture à voix haute, je me souviens qu'il m'a dit : "C'est bien, mais est-ce que tu crois que cela va assez loin ?"»