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Libération
Témoignage

Nicolas Mathieu : «Chirac était une figure grand-paternelle, une garantie d’immobilisme»

Pour le Goncourt 2018, Chirac faisait «partie des meubles», rien de plus. Il retient surtout de l’ex-président la tiédeur de ses discours et son inaction.
Jacques et Bernadette Chirac, le 29 mai 2005. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 29 septembre 2019 à 20h21

«Curieusement, dans Leurs Enfants après eux qui couvre les années Chirac, le nom de Jacques Chirac n'est pas mentionné une seule fois. Des gens me disent depuis quelques jours : «Chirac, c'est le président de ton roman.» Le fait est que je n'y ai pas pensé un seul instant en écrivant ce livre

«J'avais 20 ans en 1998. Pour ma génération, je crois que Chirac n'a pas été une personnalité qui suscitait tellement de controverse. Je ne me souviens pas m'être pris la tête avec des potes à son sujet. Il faisait partie des meubles. Avec Chirac, on savait que rien de grave, rien d'important ne pouvait arriver. J'ai vécu les années 90 de façon très dépolitisée. Ces années Chirac restent pour moi comme un moment suspendu. Avant cela, les années 80 avaient été incroyablement intenses, entre l'arrivée de Mitterrand au pouvoir et la chute du mur de Berlin. Pendant les années 90, en revanche, la France ronronne. Cela me fait penser à cette phrase de Henri Queuille : "Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout." Et cette prudence, ce côté "on marche sur des œufs", notamment après sa victoire contre Le Pen en 2002. Son discours m'avait sidéré par sa tiédeur, son manque de sens historique.

«Je ne garde des années Chirac que le souvenir de l’interdiction du foulard à l’école, des grèves de 1995 et de la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997, c’est tout. On avait bizarrement l’impression qu’il ne pouvait rien sortir de sa présidence. Le non à la guerre en Irak ? Pour moi, c’est plutôt associé à Dominique de Villepin.

«Ce qu'il était, ce qu'il a fait, je l'ai su plus tard, par mes lectures et les documentaires de Patrick Rotman. Sur le coup, c'était un genre de figure grand-paternelle, une garantie d'immobilisme, une politique d'amortisseur. Finalement, avec lui, on s'intéressait davantage à des histoires de conquête du pouvoir. C'était sa caricature dans les Guignols de l'info. Elle a à la fois renforcé son côté sympathique et miné sa crédibilité.

«Et puis moi, je venais d’Epinal, et Epinal c’était Philippe Séguin. Séguin et Chirac, on le sait, ça s’est mal fini. Séguin, c’était un angoissé, un homme intellectuellement très charpenté. Son empreinte est restée très forte dans ma région. C’était un homme d’une grande stature intellectuelle et Chirac l’a tué dans l’œuf, il a gâché un grand talent.

«En revanche, vers 2012, j’ai bossé à la mairie de Paris et là, je me suis aperçu que son souvenir était encore très vif. C’était surprenant de voir ça, des fonctionnaires qui vingt ans plus tard en parlaient avec des étoiles dans les yeux.»

Nicolas Mathieu a obtenu le Goncourt en 2018 pour Leurs enfants après eux. Il vient de publier son 3e livre, Rose Royal, novella noire dans la collection Polaroïd (édition In8) dirigée par Marc Villard.