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Bernadette Chirac, première dame et flamme politique

L’épouse de l’ancien président, «très fatiguée», n’a pas participé aux hommages. Lancée dans le grand bain en Corrèze par son mari, elle s’en était par la suite affranchie.
Bernadette Chirac en 2012 à Caen. (Charles Platiau/Photo Charles Platiau. Reuters)
publié le 30 septembre 2019 à 20h26

En 2003, face à un Philippe Labro qui avait réussi à l'amadouer dans son émission Ombre et lumière, Bernadette Chirac parlait de la mort et du duo qu'elle formait avec celui qu'elle avait rencontré à l'âge de 17 ans. «Je voudrais partir la première, je ne voudrais pas être derrière. Je ne voudrais pas rester seule», expliquait la septuagénaire. Seize ans plus tard, aucune image de l'épouse de l'ancien président n'a filtré depuis l'annonce de la mort de son mari, jeudi. «Cela lui fait beaucoup de bien de vous voir tous ici», a assuré sa fille Claude dimanche soir en allant à la rencontre des centaines de personnes massées devant les Invalides pour un dernier au revoir. Mais personne ne sait si Bernadette Chirac a assisté à la messe privée donnée à la cathédrale Saint-Louis lundi matin. Elle n'était, ensuite, ni à l'hommage à Saint-Sulpice ni à l'enterrement au cimetière du Montparnasse.

«C'est une dame très fatiguée, terrassée par la mort de sa fille» aînée il y a trois ans, affirme celle qui fut chargée de sa communication, Anne Barrère, dans le Figaro lundi. Sa dernière apparition publique remonte au mois de juin 2018. Installée dans un fauteuil roulant que poussait sa fille, Bernadette Chirac avait repris la route de la Corrèze. Invitée à l'inauguration d'une avenue Jacques-et-Bernadette-Chirac à Brive. «Voir accolés leurs deux prénoms, c'est beaucoup d'émotion», avait alors dit Claude. Bernadette Chirac, femme de politique ou femme politique tout court ?

«Tête penchée»

A l'été 2017, l'esprit embrumé par la maladie, son mari est déjà dans une forme d'ailleurs quand elle revisite son parcours avec une de ses amies qui l'interroge sur le plus beau jour de sa vie. Son mariage avec «le grand» en 1956 ? La naissance de leurs deux filles ? La descente des Champs-Elysées après la victoire présidentielle de 1995 ? Non. «Le plus beau jour de ma vie, c'est lorsque Jacques m'a demandé d'être candidate aux élections cantonales en Corrèze en 1979», explique, bravache, celle qui sera conseillère générale pendant près de quarante ans sur les terres familiales de son mari. L'anecdote figure dans les Secrets d'une conquête du journaliste Erwan l'Eléouet (Fayard) paru en mars, dernier d'une longue tripotée d'ouvrages consacrés à «Bernie» depuis sa Conversation avec Patrick de Carolis, qui s'était vendue à 300 000 exemplaires en 2003.

Mais en cet hiver 1979, on est loin d'un conseil d'ami. S'il n'est pas arrivé à la dissuader de reprendre ses études pour se lancer dans une licence d'archéologie, cette fois, c'est un ordre que Jacques intime à Bernadette. La présidentielle de 1981 approche : il doit garder la main sur le département, rampe de lancement idéale vers l'Elysée. Quitte à faire basculer dans l'arène politique celle qui s'évertue à être son ombre depuis vingt ans. En ballottage de trois voix au premier tour, elle l'emporte avec 55 % des voix grâce à un sérieux coup de pouce du maire de Paris et fondateur du RPR. A 45 ans, elle vit enfin en politique pour elle-même, avec un goût grandissant pour les tournées électorales dans un fief qui va définitivement devenir le sien. Dans un entretien accordé en 2016 au magazine de Sciences-Po Emile, elle raconte comment Xavière Tiberi lui a tout appris sur le bagout, le tractage ou le porte-à-porte, allant d'un commerce à l'autre dans le Ve arrondissement. Au moment de repartir, raconte Bernadette Chirac, «on s'inclinait toutes les deux, comme des religieuses, la tête penchée vers l'avant et on partait en reculant doucement vers la porte, sans tourner le dos à la teinturière […]. J'ai fait la même chose en Corrèze. En moins religieuse».

«Propres mains»

A chaque scrutin, comme une coquetterie, elle assure à qui veut l'entendre qu'elle arrête les frais mais elle a pris le virus : elle filera se présenter à Brive quand «son» canton de Sarran disparaît sous le coup de la réforme territoriale. Pièces jaunes et Peugeot 205 rouge - «Vous conduisez vous-même votre voiture», s'émerveillera Hillary Clinton, invitée pour un viron corrézien en 1998 -, Paris puis l'Elysée et la Corrèze, première dame et conseillère générale : Bernadette Chirac se partage entre deux vies, reliées par un train Corail. Sur place, elle donne dans l'œcuménisme. Il n'y a plus de RPR qui tienne, elle soutient parfois les communistes et s'installe dans une cohabitation plutôt amène avec un président du département nommé François Hollande, dont elle approuve le projet d'offrir un ordinateur à tous les collégiens. Elle est pourtant un pilier de cette droite catholique et conservatrice mais ne veut pas être assimilée à une politicienne.

«Je défends les intérêts locaux. Les gens savent que je suis à leur service. Je ne fais jamais de politique», confie-t-elle à Libération en 1998. A Paris, elle ne se prive pas de donner son avis. Elle jure de «tuer de [s]es propres mains» Nicolas Sarkozy quand il rallie Edouard Balladur, désapprouve la dissolution de 1997 décidée par son mari sur les conseils de Dominique de Villepin, qu'elle a surnommé «Néron», distribue les baffes verbales aux Juppé et consorts. «En un mot, elle vous foudroie et vous prive de toute repartie. En un regard elle vous pétrifie, écrit le journaliste Saïd Mahrane, racontant l'acrimonie post-Elysée qui s'est installée entre les époux Chirac. "Jacques, mettez-vous dans la tête que vous n'êtes plus rien", lançait-elle sans l'aumône d'un regard à l'homme qui partageait sa vie. Il n'était plus rien. Ou il ne devait être que le mari de Bernadette, elle qui a si longtemps été madame Chirac.»