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Libération
Récit

Nucléaire : le feuilleton Fessenheim prendra fin en 2020

EDF a annoncé ce lundi l'arrêt définitif des deux réacteurs alsaciens au mois de février et juin. L'épilogue d'une interminable saga marquée en parallèle par la dérive industrielle de l'EPR à Flamanville et Hinkley Point.
Des militants antinucléaires français et allemands, à Strasbourg, le 24 avril 2016. (Photo Frederick Florin. AFP)
publié le 30 septembre 2019 à 16h03

Inaugurée en 1978 sous Giscard, la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) coupera définitivement ses deux réacteurs de 900 MWe en 2020, sans attendre, comme l'a longtemps espéré EDF, la mise en service de l'EPR de Flamanville (Manche), devenu une Arlésienne. L'électricien a indiqué lundi matin, dans un communiqué, avoir envoyé aux autorités sa «demande d'abrogation» de l'autorisation d'exploiter Fessenheim et sa «déclaration de mise à l'arrêt définitif» des deux têtes de série qui ont lancé le programme électro-nucléaire français. Le réacteur numéro 1 cessera toute production le 22 février 2020, et le réacteur numéro 2 suivra le 30 juin.

Ces dates avaient été en partie éventées jeudi par la secrétaire d'Etat à la Transition écologique, Emmanuelle Wargon, lors d'un comité de pilotage de l'après-Fessenheim qui se tenait à Colmar. Avec une emprise de 106 hectares en bordure du grand canal d'Alsace, à la frontière franco-allemande, la centrale emploie plus de 850 salariés d'EDF, auxquels s'ajoutent 350 techniciens sous-traitants et des centaines d'emplois induits. Fessenheim représente aussi 14 millions d'euros de recettes fiscales pour les collectivités locales. Les autorités préparent donc de longue date la difficile reconversion économique et industrielle du territoire, espérant notamment y implanter un hypothétique «Airbus» des batteries électriques.

La fermeture définitive de la centrale est d'autant moins une surprise qu'Emmanuel Macron l'avait lui-même annoncée il y a un an en présentant ses arbitrages énergétiques. L'arrêt de Fessenheim donnera le coup d'envoi de la mise à la retraite de 14 tranches nucléaires d'ici 2035, sur les 58 réacteurs en service en France, avait ainsi confirmé le chef de l'Etat le 27 novembre 2018. Objectif : ramener à 50% la part de l'électricité venant de l'atome dans le «mix énergétique» national, contre un peu plus de 70% aujourd'hui. Il faut dire que les deux doyens de Fessenheim étaient depuis des années la cible préférée des opposants à l'atome, qui en avaient fait un symbole de la sortie du nucléaire. De l'autre côté du Rhin, Allemands et Suisses espéraient de longue date leur arrêt.

Le cauchemar sans fin de l’EPR

C'est un véritable feuilleton qui va s'achever en 2020. François Hollande avait promis de fermer Fessenheim dès son arrivée à l'Elysée. Mais initialement annoncé pour 2016 (!), l'arrêt définitif de la centrale alsacienne avait été reporté à 2017, 2018 puis 2019, au gré des aléas du chantier de Flamanville, où la construction de l'EPR a viré au cauchemar pour EDF. Aux dernières nouvelles, la mise en service du premier exemplaire de ce réacteur de nouvelle génération, devant délivrer une puissance de 1650 MWe, n'interviendra pas avant fin 2022. Avec dix ans de retard sur le calendrier initial et un coût multiplié par plus de trois, à hauteur de 11 milliards d'euros ! Un dérapage industriel et financier sans précédent lié à une série de malfaçons dans la métallurgie de la cuve puis les soudures des circuits du réacteur, qui a jeté un sérieux doute sur la capacité d'EDF à construire l'EPR. L'électricien a été accusé de «défaillances» par le gendarme nucléaire (l'ASN) qui vient de mettre le chantier maudit «sous surveillance».

EDF a donc abandonné depuis longtemps l'espoir de coupler l'arrêt de Fessenheim avec le démarrage de l'EPR de Flamanville. Ce qui lui aurait permis de ne pas perdre 1,8 GWe de puissance nucléaire et de rester à son plafond de 63 GWe installés. Car les 11 milliards de kWh produits chaque année par la centrale alsacienne (soit 70% de l'électricité fournie à la région) représentaient une rentrée d'argent considérable pour l'électricien. Le groupe a ainsi bataillé pour obtenir une compensation : le «protocole d'indemnisation» signé entre EDF et l'Etat le 27 septembre se traduira d'abord par un versement «proche de 400 millions» dans les quatre ans suivant la fermeture pour en couvrir les coûts. Un montant équivalent, selon nos informations, à une année de chiffre d'affaires de la centrale de Fessenheim. Mais l'exploitant nucléaire a aussi obtenu des «versements ultérieurs» correspondant à son manque à gagner futur d'ici 2041, partant du principe que sur le papier, la centrale de Fessenheim aurait pu fonctionner encore vingt ans. Cette soulte qui pourrait doubler la facture pour le contribuable, sera calculée «à partir des prix de vente de la production nucléaire et des prix de marché observés».

«Etat dans l’Etat»

EDF en a peut-être fini avec le feuilleton Fessenheim mais est loin d'en avoir terminé avec les soucis liés à son parc nucléaire. Dimanche au micro de RTL, le ministre de l'Economie a violemment taclé le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, qui vient pourtant d'être reconduit à son poste pour cinq ans par Emmanuel Macron. Le nucléaire ne doit pas être «un Etat dans l'Etat» a tonné Bruno Le Maire, rendu furibard par les dernières mauvaises nouvelles de l'EPR. Après «les dérives inacceptables» de Flamanville, c'est le chantier d'Hinkley Point dans le sud de l'Angleterre qui part en vrille. Le groupe français, qui construit deux réacteurs EPR en partenariat avec le chinois CGN, a annoncé le 25 septembre un surcoût de 3,3 milliards d'euros pour ce chantier qui devait faire oublier les avanies de Flamanville. On l'aura compris, c'est totalement raté. Gros coup de sang de Le Maire qui a rappelé que le gouvernement avait «lancé des avertissements» à EDF et commandé «un audit totalement indépendant» sur la manière dont le groupe a mené son affaire avec l'EPR. Cet audit confié à l'ancien patron de PSA, Jean-Martin Folz, doit être rendu «le 31 octobre prochain» et ses conclusions pourront avoir des conséquences «à tous les étages», a prévenu l'homme de Bercy.

Le patron d’EDF a dû sentir le vent du boulet. Mais Lévy a au moins jusqu’à la fin de l’année pour rendre à l’Elysée son plan de sauvetage de l’EPR, qui passe par une découpe pure et simple d’EDF : le fameux projet «Hercule» doit aboutir à la mise sous cloche 100% publique du parc nucléaire, avec pour corollaire la privatisation partielle des autres activités (Enedis, Dalkia, énergies renouvelables…). Ou comment nationaliser les pertes et privatiser les profits.