Faire comprendre que ça n'est pas «une blague», mais que c'est «grave». C'est tout le sens de l'audience qui se tient ce mardi à Nanterre. Antoine T., 46 ans, restaurateur à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), comparaît en citation directe pour avoir provoqué, sans que cette provocation ne soit suivie d'effet, à commettre le crime de viol. En cause, une affiche placée devant son établissement en janvier, sur laquelle était inscrit : «Mon secret séduction tient en trois mots : gentillesse, humour, bagou. Si ça marche pas ? Je me contente des premières lettres.» Comprendre : GHB, ou acide gamma-hydroxybutyrique, drogue de synthèse surnommée la «drogue du violeur». En sus de placer cet écriteau sur le trottoir devant sa brasserie, le restaurateur avait aussi, comme il le faisait souvent, publié une photo sur un groupe Facebook destiné aux habitants de sa ville.
Sexisme
Agacées par cette publication, deux étudiantes d'une vingtaine d'années et leur ancienne professeure avaient alors dénoncé sur Facebook et Twitter le caractère sexiste des messages du restaurateur en publiant des photos d'autres pancartes précédemment affichées. On y lisait entre autres : «Un jour, les femmes domineront le monde. Mais pas aujourd'hui, c'est les soldes» ; ou encore : «Etre un homme, c'est faire ce que tu veux, quand tu veux, sans avoir de comptes à rendre à… Merde, elle arrive… A plus.»
Ces messages avaient été relayés par plusieurs militantes féministes, épinglant misogynie et culture du viol. La municipalité avait demandé au restaurateur de cesser ce type d'affichage, et celui-ci avait, dans un «droit de réponse» publié sur les réseaux sociaux, assuré que ces pancartes n'avaient pour but que «de mettre un peu de bonheur et de bonne humeur dans le quotidien». Puis, assurant faire l'objet de menaces et de harcèlement, le commerçant avait porté plainte, entraînant une convocation au commissariat, finalement annulée, des trois femmes qui avaient les premières dénoncé le sexisme des pancartes. Inquiètes, celles-ci avaient fait appel à la Fondation des femmes pour bénéficier de l'appui de sa force juridique.
Pour la fondation spécialisée dans la défense des droits des femmes, l'attitude du restaurateur constitue un «détournement des délits de harcèlement ou de dénonciation calomnieuse en instruments de pression, de vengeance ou de dissuasion à l'encontre des victimes ou des lanceurs d'alerte féministes». «Cette dérive dit aussi l'injonction contradictoire faites aux victimes : sommées de porter plainte lorsqu'elles souhaitent s'exprimer, elles deviennent ensuite accusées par les agresseurs qu'elles dénoncent», ajoutait la fondation en février, alors que se tenait le procès en diffamation de journalistes ayant couvert l'affaire Baupin et de femmes accusant l'ancien secrétaire général d'Europe Ecologie - les Verts de harcèlement et d'agression sexuelle.
Dans la foulée, le Collectif féministe contre le viol (CFCV) a engagé une procédure judiciaire en citation directe pour incitation au viol et à l'administration d'une substance en vue de commettre un viol. A ce titre, le quadragénaire encourt cinq ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. «On en a assez de voir l'humour utilisé comme parapluie, alors que l'on a affaire à des faits extrêmement graves. Depuis l'ouverture de notre permanence téléphonique (1), en 1986, on a entendu 59 000 récits de victimes environ. On sait à quel point le viol fait des ravages», fustige Marie-France Casalis, porte-parole du CFCV. «La question n'est pas de savoir de quoi on peut rire ou pas. Il faut sortir de l'idée qu'il s'agit d'une blague, car ce n'est rien d'autre qu'une manière de banaliser des comportements qui sont des crimes, le tout sur la voie publique», appuie quant à elle Me Sophie Soubiran, avocate du collectif, qui entend demander des dommages et intérêts.
«Regrets»
«C'est une blague de mauvais goût qui, en tant que femme, ne me fait pas du tout rire. Cela justifie-t-il pour autant que mon client soit jugé pour incitation au viol ? Je ne le pense pas», argue pour sa part Me Vera Goguidze, conseil du restaurateur, qui se trouve selon elle dans «une situation psychologique très fragile». Et de poursuivre : «Dans un Etat démocratique, la liberté d'expression, ce n'est pas seulement entendre une parole agréable et neutre, mais aussi des choses qui peuvent éventuellement choquer.»
Joint par Libération, Antoine T. «préfère ne pas trop parler avant l'audience», mais assure, «avec le recul, regretter amèrement une publication», dont il comprend «complètement qu'elle puisse choquer» et tient à exprimer ses «regrets» et ses «excuses». «Cette audience est une opportunité d'avoir une discussion importante sur l'utilisation des violences faites aux femmes comme un moyen de publicité», espère pour sa part Sophie Soubiran.
(1) 0800.05.95.95, du lundi au vendredi, de 10 heures à 19 heures.