Près d’une semaine après l’incendie de l’usine Lubrizol. Une directrice d’école, dans une commune semi-rurale à une quinzaine de kilomètres de Rouen, raconte ces derniers jours : la cour de récréation couverte de suie, les mesures de précaution que l’équipe a décidé de prendre, en dépit du silence de son institution. (1)
«Mon école est à une quinzaine kilomètres de Rouen, dans un village de 2 000 habitants. On n’est pas dans le périmètre de sécurité, mais juste à côté. Du coup, l’école était censée rester ouverte la semaine dernière, mais le maire, par précaution, l’a fermée jusqu’à lundi.
«Pendant toute une journée, les agents municipaux ont nettoyé comme ils ont pu. La cour était recouverte de suie. Mais lundi matin, elle était à nouveau noire, c’est retombé pendant le week-end… On a beaucoup échangé entre collègues et avec la municipalité pour savoir ce qu’on faisait. Nous avons décidé des mesures de précaution : confinement des élèves dans les bâtiments, avec interdiction de sortir dans la cour. On se déchausse à l’entrée. On ne pose pas les cartables dans la cour. Les parents ne rentrent pas pour éviter de salir le hall, etc. Ce sont des mesures de bon sens, que nous avons prises malgré les propos rassurants de l’institution… Nous avons reçu peu d’informations et très tardivement, comme ce mail reçu dimanche soir à 20h30, nous indiquant que toutes les écoles du secteur avaient été vérifiées, que toutes rouvraient lundi matin, sans raison aucune de s’inquiéter. Comme si tout allait bien. Je ne veux pas dramatiser ni être dans le catastrophisme, mais tout de même… On ne peut pas faire comme si de rien n’était ! On en a discuté avec les enfants, je les ai fait parler, puis dessiner. C’est important pour dédramatiser.
«Les directeurs et directrices d'écoles, ainsi que les enseignants, se retrouvent souvent seuls à gérer la situation, à se débrouiller comme ils peuvent, sans soutien ou presque de notre institution. J'en viens à me demander à quoi servent les fameux PPMS [plan particulier de mise en sécurité, ndlr]. On nous impose à longueur de temps pour qu'on fasse des exercices, que tout soit bien rodé. Et quand un événement se produit, que se passe-t-il ? Je vais vous dire : ce ne sont pas les écoles qui ne suivent pas, c'est l'administration. Le rectorat a les numéros de téléphone personnels de tous les directeurs et directrices d'école… or nous avons été informés d'un "événement en cours" le jeudi matin à 9h45 seulement… Il y a quand même un léger décalage ! On est dans l'improvisation. Depuis, personne n'a pris le temps d'appeler pour savoir comment ça se passait, si on s'en sortait. Mon administration a juste demandé de lui envoyer les effectifs, pour savoir combien d'élèves étaient absents. Lundi, en arrivant à l'école, on a envoyé des photos de la cour de récréation à l'inspection académique. Qu'ils sachent au moins. Ils ont accusé réception. C'est tout.»
(1) Si l'Education nationale a peu communiqué auprès de son personnel depuis l'incendie, comme le déplore cette directrice, l'administration a tout de même adressé un mail lundi indiquant qu'en cas de demande d'interview par un journaliste, les directeurs d'école devaient renvoyer les demandes vers le rectorat. Après la parution de l'article, les services académiques précisent qu'il s'agissait là d'un mail-type, un vademecum précisant la marche à suivre pour obtenir une cellule d'écoute et leur indiquant qu'ils peuvent « solliciter le rectorat pour être accompagné» en cas de demande de la presse. «Une invitation et en aucun cas une obligation», précise le service de presse du ministère.