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Avec son «écocirque 100% humain» Bouglione fait un sans faune

Après avoir dénoncé l’exploitation des bêtes par les circassiens et s’être mis à dos toute la profession, André-Joseph Bouglione lance ce jeudi à Vincennes son cirque certifié sans animal.
André-Joseph Bouglione à Paris en 2018. (Photo Yann Rabanier.)
publié le 2 octobre 2019 à 20h46

Ils ont rangé leurs fouets et jeté leurs cages à fauves, mais ils ont conservé pour le cirque un amour intact. André-Joseph Bouglione et sa femme, Sandrine, tous deux descendants de célèbres lignées de dompteurs, entament une nouvelle vie d'itinérance : adieu le «cirque d'hier» avec ses tigres, ses chevaux, ses éléphants. Et que la fête (re)commence, avec «l'écocirque 100 % humain». Cette version entièrement revisitée du spectacle circassien va être officiellement présenté ce jeudi au Parc floral de Vincennes. «Avec Sandrine, nous réfléchissons à ce concept depuis le début des années 2000. Nous sommes partis de zéro, nous avons cherché des partenaires… Pendant deux ans, nous avons fonctionné en mode start-up, raconte André-Joseph Bouglione, qui a créé son premier cirque en 1991, à 16 ans. Avec l'écocirque, tout sera différent. A chaque étape, nous monterons un vrai petit village et nous nous installerons pour plusieurs semaines. Nous y proposerons des spectacles mais aussi des animations, des concerts, des conférences, des espaces d'exposition, des food-trucks, des stands commerciaux et des produits artisanaux… Ça sera un endroit de partage où l'on pourra se divertir, se faire masser, manger ou boire un cocktail en regardant des clowns.»

«Malaise»

Le concept prévoit également de proposer aux écoliers des ateliers pédagogiques qui, à l’aide d’hologrammes, les sensibiliseront aux enjeux environnementaux et aux menaces qui pèsent sur certaines espèces animales. Dans son fonctionnement, ce cirque souhaite aussi s’imposer un mode de vie écolo : emprunter le train plutôt que la route pour se déplacer de ville en ville, n’utiliser que l’énergie solaire, fabriquer des costumes entièrement végans (sans plumes, ni soie, ni cuir)…

L’équipe d’André-Joseph Bouglione, qui compte 8 permanents, pourrait à terme réunir 150 personnes, dont des salariés recrutés localement, à chaque étape. La tournée débutera à Strasbourg, où l’écocirque plantera ses tentes pour un mois, en avril. La seconde ville programmée devrait être Montpellier.

Observateur privilégié du monde du cirque, André-Joseph Bouglione concrétise son projet au moment où, dit-il, les circassiens vivent un tournant dans leur histoire : «Ils sont plus que jamais confrontés au malaise ressenti par le public face à la présence d'animaux sur la piste, et ne bénéficient plus d'aucun regard de complaisance.» Lui-même ne serait pas étranger à ce tournant : en 2018, l'ex-dompteur, déjà en délicatesse avec sa propre famille, s'est mis à dos toute la profession après avoir publié et largement médiatisé un ouvrage (Contre l'exploitation animale, avec la collaboration de Roger Lahana, éd. Tchou) dans lequel il dénonçait les maltraitances des animaux dans l'univers circassien. «Depuis, les plus gros cirques se sont arrêtés, ou bien ont réduit leurs équipes, constate Bouglione. Les petits cirques familiaux poursuivent leurs activités, certains en montrant des dinosaures, ou des requins… Tous refusent encore d'admettre que les gens ne veulent plus être témoins d'exploitation animale, mais on voit bien que les changements s'accélèrent.»

Réflexion

Contrairement à de nombreux pays européens ayant déjà interdit sur leur territoire la présence de cirques avec animaux, la France n’a encore pris aucune décision sur le sujet, bien que celui-ci soit régulièrement évoqué à l’Assemblée nationale, au travers des questions écrites des députés. Sur le terrain, un nombre croissant de villes refusent désormais d’accueillir des cirques détenant des animaux. L’association Code animal a ainsi recensé, à la fin du mois de septembre, 374 communes ayant pris position en ce sens (par une délibération, un arrêté, ou par le biais d’un vœu), dont 78 villes de plus de 10 000 habitants.

Elus, associations proanimaux et circassiens devraient être bientôt fixés sur la position du gouvernement. En avril, François de Rugy, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, avait en effet initié une réflexion sur la faune sauvage captive, et mis en place dans ce cadre quatre groupes de travail : élevages de visons pour la fourrure, delphinariums, zoos et animaux dans les cirques. L'ancien ministre prévoyait alors qu'après ces travaux, une vingtaine de «mesures prioritaires» seraient annoncées d'ici l'été 2019. Elisabeth Borne, qui lui a succédé à la tête du ministère, prévoit désormais de présenter ce plan d'action «cet automne». L'échéance peut être reculée, mais il faudra bien, à terme, se prononcer.