La liste des composés chimiques se trouvant dans l’usine Lubrizol à Rouen est désormais connue. Plus de 5 000 tonnes de produits chimiques se sont consumées lors du sinistre, a indiqué mardi soir la préfecture de Seine-Maritime lors de la publication de la liste. André Cicolella, toxicologue et spécialiste de l’évaluation des risques sanitaires, revient sur la toxicité des substances parties en fumée.
Que montre la liste des produits chimiques qui se trouvaient dans l'usine Lubrizol en termes de dangerosité ?
Le problème est que nous ne sommes pas vraiment en possession d’une liste précise. D’ordinaire, les substances chimiques sont classées au niveau international avec un numéro qui permet de connaître précisément leur composition. Or ce numéro ne figure pas sur la liste. Seuls figurent les 3 300 produits, renseignés avec des codes propres à l’entreprise. L’exigence de transparence n’est donc pas remplie. Ce n’est pas n’importe quel feu, mais un incendie avec une variété de substances et un volume considérable. On évoque plus de 5 000 tonnes de produits chimiques brûlés. Il faudra aussi regarder la nature des produits que les pompiers ont utilisés sur ce type de feu. On sait que les agents extincteurs peuvent contenir des produits perfluorés et qu’ils sont une source de contamination des ressources en eau. S’il y a bien une population exposée, ce sont eux.
Plus de 100 maires et élus normands ont demandé mercredi au gouvernement la reconnaissance rapide de «l’état de catastrophe technologique» et la mise en place d’un registre médical. Quel est l’impact des produits issus de la combustion sur la santé des personnes exposées ?
Lors d’un incendie, vous faites face à toute la gamme de combustion, toutes les températures et tous les mélanges possibles. Le gros de la contamination vise les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les produits soufrés. Pour la plupart, ils sont des cancérogènes mutagènes et des perturbateurs endocriniens avec des effets transgénérationnels. Nous ne sommes pas dans un risque aigu comme lors de la catastrophe indienne de Bhopal en 1984, avec un gaz qui se répand dans l’air et fauche tout le monde. Nous sommes face à un risque chronique. C’est beaucoup plus pernicieux car vous ne le sentez pas, ne le voyez pas et néanmoins il est présent.
Une semaine après l’incendie, le résultat de mesure des dioxines n’a pas encore été rendu public. Quel en serait l’impact sur la santé ?
La question de la dioxine n'est pas marginale mais centrale. On ne sait toujours pas si le conteneur d'acide chlorhydrique présent sur le site et indiqué dans le Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) a flambé. Si oui, leur combustion a généré des dioxines dont on connaît parfaitement la toxicité. Nous devons avoir ces réponses. A partir des analyses de dioxine qui doivent arriver cette semaine, on saura si on doit se caler sur le modèle de la catastrophe italienne de Seveso en 1976. Quarante ans après, nous savons qu'elle a eu des effets sur la fertilité masculine, féminine, que la mortalité par cancer et diabète a augmenté. La contamination a entraîné des modifications biologiques annonçant des maladies métaboliques et des dommages neurologiques. Il faut bien rappeler qu'il s'agissait à l'époque d'un seul réacteur, d'une à six tonnes qui a explosé, contaminant l'espace dans un rayon de 18 km2. Aujourd'hui avec l'incendie de Lubrizol, nous sommes face à un hangar qui a brûlé pendant des heures et plus de 5 000 tonnes de produits chimiques partis en fumée.