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Libération
Interview

Suppression de l'ISF : «Ce sera compliqué de faire la part des choses»

L'économiste Pierre Madec réagit au rapport publié lundi sur l'allègement de la fiscalité du capital voulu par Emmanuel Macron. Il estime que l'impact de la réforme restera difficile à évaluer si d'aventure elle produit vraiment des effets.
Des manifestants lors d'une marche pour le climat, le 8 décembre 2018. (JACQUES DEMARTHON/Photo Jacques Demarthon. AFP)
publié le 2 octobre 2019 à 9h47

Economiste à l'OFCE, l'Observatoire des conjonctures économiques de Sciences-Po, Pierre Madec est chargé de l'évaluation de la politique budgétaire du gouvernement. Analysant l'avis du Comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital mis en place par l'exécutif, il estime que son impact sur l'économie restera dans tous les cas difficile à quantifier.

Vous attendiez-vous à ce que ce rapport botte en touche sur les effets supposés bénéfiques de la fin de l’ISF sur le financement des entreprises et l’activité en général ?

Cela n’a vraiment rien d’étonnant, c’était couru d’avance. Evaluer l’efficacité de ces mesures en se plaçant du côté de la politique de l’offre et d’éventuels changements de comportement des investisseurs et entrepreneurs ne peut pas s’apprécier sur un terme aussi court. Ce sont des mesures dont l’impact sur l’activité, s’il advient un jour, sera long à obtenir.

Le comité, en revanche, observe un effet redistributif immédiat et très positif pour les plus riches des Français… 

La transformation de l’ISF en IFI (impôt sur la fortune immobilière) et la mise en place du PFU (prélèvement forfaitaire unique) ont clairement bénéficié aux ménages très aisés. L’impact sur les inégalités de revenus après impôts rapporté à l’ensemble des ménages reste faible et ne progresse que marginalement. Mais les effets sont en revanche importants sur les assujettis à l’ISF qui ne représentaient qu’une toute petite population de 350 000 ménages. Déduction faite de ce que rapporte le nouvel IFI, l’allègement est de l'ordre de 5 milliards d’euros avec un gain moyen de 7 500 euros par ménage. Mais attention, tout est dans le mot «moyen». Plus on est riche, plus ce gain est important avec une progression exponentielle.

Autre enseignement, les versements de dividendes, bien moins imposés, ont fortement augmenté l’an dernier. Vous y voyez un lien de cause à effet ?

C'est difficile à interpréter. Le rapport écrit prudemment que «l'effet causal» entre la baisse des versements de dividendes à partir de 2013 après leur imposition au barême de l'impôt sur le revenu et leur remontée au niveau d'avant la réforme Hollande avec la mise en place de cette «flat tax» sur les revenus du capital ne peut être «scientifiquement établi». Les entreprises ont-elles préféré investir davantage pendant ces années en attendant un meilleur régime pour leurs actionnaires, auquel cas cette mesure aurait contribuée à doper l'investissement ? S'agit-il de hausses de salaires déguisées ? Il faudrait approfondir les travaux sur ce point.

Pourquoi pensez-vous qu’il restera difficile, même à long terme, d’évaluer l’impact macroéconomique de ce genre de réformes ? Le Trésor ne parlait-il pas d’un gain de 0,5% de croissance annuelle potentielle et de 50 000 créations d’emplois ?

Même en 2021 comme le promet le Comité, l’impact sera difficile à évaluer dans la mesure où cette réforme allège à la fois la fiscalité sur le stock de capital avec la fin de l’ISF et celle sur ses flux avec le prélèvement forfaitaire unique. Ce sera compliqué de faire la part des choses. Il sera certes possible de voir si les choix d’investissement des ménages les plus aisés ont changé mais de là à en tirer des conclusions sur le plan macroéconomique avec les effets sur la croissance et les créations d’emplois, c’est compliqué.

Qu’en est-il des effets sur l’attractivité du territoire ? Ces réformes sont-elles de nature à réduire le nombre de départs à l’étranger ou favoriser plus de retours d’exilés fiscaux ?

Différentes études l’ont montré : d’une part, ce sont toujours les ménages les plus riches qui sont les plus mobiles et il serait hasardeux d’établir un lien entre la disparition de l’ISF et le plus ou moins grand nombre de départs et de retours des Français les plus fortunés. Cela dépend de quantité d’autres facteurs, et le niveau de taxation du capital n’est pas forcément toujours le plus déterminant. D’autre part, on sait que ces mouvements sont plus sensibles au niveau de taxation de l’impôt sur le revenu dans ses tranches les plus hautes. Tant que l’on n’observe pas de changements de comportement massifs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, il serait hâtif d’en tirer des conclusions.

S’il n’impose pas de contreparties, le gouvernement peut-il arriver à modifier les comportements d’épargne des plus riches ?

Tant qu’il n’y a pas de contreparties en face des allègements fiscaux, c’est impossible de garantir que cette réduction de l’imposition du capital ira vers le financement de l’économie et permettra de doper les fonds propres des entreprises comme l’escompte Bercy. Cela aurait pu s’envisager si on avait étendu le dispositif qui permettait de réduire son ISF en investissant dans les PME à des secteurs jugés prioritaires, comme la recherche par l’exemple. Mais ce n’est pas la piste qui a été retenue. Ce comité a eu bien du mérite à pondre 340 pages pour dire au final que l’on ne sait rien et qu’il est urgent d’attendre.

D’après les 90 gestionnaires de patrimoine interrogés, un grand nombre de leurs clients doutent encore de la pérennité de ces mesures…

Le gouvernement ayant laissé entendre que si ces mesures n’ont pas l’effet escompté, il pourrait revenir dessus, c’est une raison de plus pour attendre et pas forcément de nature à changer les comportements. Ce qui est certain, c’est qu’entre la fin de l’ISF, le PFU et la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) débutée sous le quinquennat précédent et qui va se poursuivre, les arbitrages et choix d’optimisation fiscale ne cessent de s’étendre. Les cabinets de conseil financier ont beaucoup de travail et vont pouvoir embaucher.