Ibrahima (1) est dépité. Cela fait deux fois qu'il tente de participer aux opérations de mise à l'abri mais à chaque fois, il n'a pas eu de place. Ce jeudi matin à la porte d'Aubervilliers (nord de Paris), il a à nouveau fait chou blanc : «J'étais là tôt mais je me suis fait pousser et j'ai dû aller à la fin de la file», s'énerve-t-il. Quelque 350 hommes seuls et une centaine de personnes composant des familles – dont au moins une trentaine d'enfants et de nourrissons – ont eu plus de chance : ils ont pu monter dans l'un des cars affrétés par la préfecture pour les conduire dans des centres d'accueil et d'examen de la situation (CAES) de la région parisienne.
Là, ils seront logés, en moyenne une dizaine de jours, soignés, nourris. Leur situation administrative sera étudiée, mais, promet-on à la préfecture, personne ne sera renvoyé du territoire, du moins dans un premier temps. Prudents, quelques-uns des occupants du campement d’Aubervilliers, sous statut Dublin, observent la scène de loin, se gardant bien de monter dans les bus. Ces opérations de mise à l’abri, qui ont lieu quasiment chaque semaine, sont d’autant plus nécessaires que le nombre de migrants à la rue explose : selon France Terre d’Asile, ils seraient 3 200, rien que dans la capitale, un niveau comparable au pic de 2015.
Une tâche à la Sisyphe
Plus tôt dans la nuit, une longue file avait commencé à se former le long de l’avenue d’Aubervilliers, à quelques mètres du périphérique. Baluchons sur le dos, tentes repliées dans des sacs : tous attendaient de pouvoir quitter le campement, que les agents de la mairie de Paris ont partiellement nettoyé à l’issue de l’opération. Une tâche à la Sisyphe, le campement se reformant presque aussitôt le nettoyage terminé.
Ali et Sidahmed, 33 et 25 ans, viennent du Soudan, qu'ils ont quitté pour des raisons politiques. Arrivés par les Pays-Bas, ils souhaitaient gagner l'Angleterre mais, ayant obtenu l'asile en France, ils ont renoncé à quitter l'Hexagone. D'autant que Sidahmed est enceinte de cinq mois. Depuis leur arrivée, disent-ils, ils dorment dans la rue, sont parfois hébergés une nuit par-ci par-là, chez des citoyens volontaires. «On a demandé à la mairie, à l'hôpital, au 115… On a jamais eu d'hébergement», dit Ali. Lorsqu'ils étaient demandeurs d'asile, ils auraient pourtant, théoriquement, dû être hébergés par l'Etat. Mais les places d'hébergement manquent : selon la Fédération des acteurs de la solidarité, il faudrait 30 000 places supplémentaires pour héberger tous les demandeurs d'asile.
Procédure accélérée
Ahmed (1), 26 ans, vient lui de Somalie. Depuis quinze mois qu'il est en France, il y vit à la rue, alors qu'il est, dit-il, demandeur d'asile. «C'est difficile. Des personnes dans le camp nous ont dit de venir ce matin, qu'on allait aller dans une maison. Je suis content», sourit-il, même s'il ne sait pas trop où le bus le conduira. Ali Sayed, 28 ans, vient quant à lui d'Afghanistan. Comme il est sous statut Dublin, sa demande d'asile sera traitée en procédure accélérée. «Je vis dans le camp depuis trois mois, raconte-t-il. J'ai une petite tente, mais c'est dur. J'adorerais rester en France, y travailler dans le bâtiment», son métier en Afghanistan. Tous les deux ont pu monter dans le bus ce jeudi matin. Mais leur répit pourrait n'être que de courte durée.