Menu
Libération
Chronique «Vous êtes ici»

JO 2024 : l'angoisse de la réversibilité

Chaque semaine, une histoire de villes, de villages et d'enjeux urbains. Aujourd'hui, comment construire des équipements olympiques qui serviront après le sport. Et si possible, battront des records de développement durable.
Le stade olympique de beach volley des JO de 2004 à Athènes, en 2014. (Yorgos Karahalis/Photo Yorgos Karahalis. Reuters)
publié le 4 octobre 2019 à 11h54

Rendre réversibles les équipements des Jeux olympiques et transformer, par exemple, les villages athlètes et médias en vraie ville, ne provoque peut-être pas, comme l'écrivait Baudelaire, «les vagues terreurs de ces affreuses nuits / Qui compriment le cœur comme un papier qu'on froisse». Mais quand même, ce n'est pas simple. Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), dort-il bien ? Il doit livrer la cinquantaine de constructions ou d'aménagements qui subsisteront après les Jeux. La gestion de «l'héritage» étant l'une des promesses majeures faites par Paris pour décrocher les JO de 2024, l'enjeu est de taille. Surtout quand on sait que l'histoire des Jeux est jalonnée d'équipements ruineux qui n'ont servi qu'à endetter les villes d'accueil.

A lire aussi notre dossierParis 2024

Mercredi soir, au siège de l'Equipe, la Solideo a lancé l'appel d'offres auprès des investisseurs pour le futur village des médias. Il se trouvera sur la commune de Dugny, entre La Courneuve et Le Bourget en bordure des 400 hectares du parc Georges-Valbon mais aussi à un jet de pierre de l'A1. On ne peut pas tout avoir. Le village des médias n'est pas une salle de presse. Il va falloir construire 132 000 mètres carrés de planchers pour héberger 20 000 journalistes et techniciens des télés, radios, sites et journaux du monde entier dans une trentaine de bâtiments.

«Penser à la nourriture»

Lors de la conférence de presse, Nicolas Herbelot, journaliste à l'Equipe, huit Jeux olympiques au compteur, a donné ses conseils pour réussir l'endroit. D'abord, terminer le chantier à temps : «Souvent, on arrive dans des villages où les espaces verts ne sont pas encore verts.» Ensuite, «donner un nom au village, genre Saint-Exupéry. Moi, Dugny, je connaissais pas. Je pensais qu'il était au Bourget». Enfin, dernière recommandation : «Penser à la nourriture.» En vieux routier, il évoque les retours à quatre heures du matin, avec au menu «qui dort dîne ou des Pringles». Venir en France pour manger des Pringles…

Ces problèmes sont surmontables. La suite est plus délicate. Les trente bâtiments de Dugny devront héberger par la suite 2 000 logements, deux écoles – maternelle et élémentaire –, un gymnase, une crèche et des activités économiques. Le village des athlètes se transformera pour recevoir 6 000 habitants et 6 000 emplois. Cela paraît simple mais ça ne l’est pas. Il faut d’abord trouver des investisseurs qui se déclareront maintenant pour ne toucher des revenus qu’en 2025. Pour le village des athlètes, 320 000 mètres carrés en deux lots à Saint-Denis, il n’y a eu que sept candidatures de groupements d’investisseurs à l’appel d’offres lancé en mars. Les deux lauréats seront annoncés le 22 novembre.

L'autre difficulté tient à la nature des activités. Le village des athlètes, explique Ferrand, «c'est plutôt un camp retranché avec un niveau de sécurité d'aéroport». On est loin du charme des villes. En outre, le Cojo (Comité d'organisation des Jeux olympiques) a ses exigences. «Il y a un an, il nous demandait 3 500 T4, raconte Nicolas Ferrand. On a réussi à basculer vers une typologie normale d'immeuble du T1 au T4 et on a prévu de supprimer la salle de bains dans les T3 pour en faire des bureaux.» Le Cojo ne veut pas non plus de cuisine dans les appartements. «La grande halle de la Cité du cinéma va servir de restaurant. c'est plus convivial, explique Nicolas Ferrand. Ils vont servir 55 000 repas par jour 24 h sur 24.» Sauf que dans les appartements vendus ultérieurement, il faudra bien des cuisines. «On va prévoir deux salles de bains et on en transformera une.» La réversibilité est un sport de combat.

Vitrine du développement durable

Mais tout cela n'est pas l'enjeu essentiel. Il faut que ces futurs quartiers soient la vitrine de la ville du développement durable, de celle qui subira les températures de la canicule de 2003 chaque été post-2050, qui devra apprendre à vivre les épisodes climatiques en «mode dégradé pendant quarante-huit heures» parce que tout ne refonctionnera pas tout de suite, qui se rafraîchira avec l'eau à 14° de la nappe phréatique qu'il y a là et pas avec la clim. Une ville dont la construction aura un bilan carbone inférieur de moitié à celui des chantiers classiques, construite majoritairement en bois. Une cité qui fera la démonstration «que l'on peut sortir du tout béton». Au pays de Francis Bouygues ? On demande à voir. «Toutes les filières liées à la ville sont celles où nous avons des leaders mondiaux», veut croire Nicolas Ferrand. L'héritage, discipline olympique.