Le kebab, en politique, il y a ceux qui adorent en parler (façon «j'en mange régulièrement car je suis un Français normal») et ceux qui adorent détester (genre «c'est la culture française qu'on assassine !»). Que la nourriture soit un objet de communication politique, ça n'est pas nouveau. Même si Guillaume Gomez, cuisinier de l'Elysée, a révélé n'avoir en réalité cuisiné que deux fois de la tête de veau à Jacques Chirac, qui n'associe pas ce plat du terroir à l'ancien président ?
Depuis une dizaine d'années, c'est le kebab qui revient avec constance dans la bouche des politiques français. La dernière fois, c'était dans celle de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, à l'occasion de l'affaire François de Rugy : «Nous avons bien conscience que nos concitoyens ne mangent pas du homard tous les jours, bien souvent c'est plutôt des kebabs.» Traduction : voyez comme nous comprenons bien la vie des gens ordinaires… Et tant pis si la réalité est un peu différente : le kebab restant largement moins consommé que les burgers, les pizzas et les sandwichs jambon-beurre, il eût été plus indiqué d'opter pour l'un de ces trois mets plutôt que de brandir le sandwich turc.
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Dans le camp des pro-kebab, on retrouve le Parti socialiste qui, en 2009, a eu l'idée d'organiser des «kebab débats», une initiative un brin condescendante dans le but pourtant respectable d'aller à la rencontre des habitants des quartiers défavorisés. Benoît Hamon a ensuite, à deux reprises, fait le coup du kebab. Une première fois lors de la campagne présidentielle de 2017, à laquelle il était candidat, lorsqu'il a tweeté une photo d'une barquette grec-frites, avec la mention «J'ai craqué.» Comprendre : je suis si normal que mon péché mignon est un sandwich à 5 balles. La deuxième fois (en mai dernier lors de la campagne des élections européennes) est plus directement politique. Le socialiste s'est filmé à une terrasse de kebab à Béziers, où le maire Robert Ménard tente de limiter le nombre de fast-foods proposant le sandwich, et a posté la vidéo agrémentée d'un message vantant la «diversité culinaire» : selon lui, l'édile ferait «la guerre à la population qu'il n'aime pas».
Dans le camp des anti-kebab, on trouve des personnalités de droite et d'extrême droite. En 2013, lors d'un meeting de Marine Le Pen, on pouvait à la buvette voir le panneau : «Ni kebab ni burger, vive le jambon-beurre.» A partir des années 2010, plusieurs maires tentent de limiter le nombre de restaurants de kebabs dans leur ville, en prenant par exemple des arrêtés municipaux leur permettant de préempter les fonds de commerce vacants ou de limiter la vente à emporter sur certaines plages horaires, comme à Marseille en 2017, à Pau ou à Amiens en 2019 (même si ce dernier a été retoqué par la justice). L'argument invoqué est souvent celui des nuisances sonores.
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Mais d'autres maires n'y vont pas par quatre chemins, arguant, à l'instar de Robert Ménard dans un texte publié sur son site Boulevard Voltaire, que là où s'installent de tels établissements apparaîtraient automatiquement des tas de musulmans. Candidat aux municipales à Beaucaire, Julien Sanchez (FN) avait promis en 2014 de s'attaquer à ces échoppes, selon lui trop nombreuses dans le centre-ville, tout comme Michel Chassier, secrétaire départemental du FN qui expliquait alors au New York Times : «Ces commerces sont incompatibles avec l'image de Blois, joyau de l'histoire de France.» L'argument identitaire est clair et assumé. A Béziers, Robert Ménard a d'ailleurs été plus loin, en prenant au printemps un arrêté interdisant l'usage de chichas (mais pas de cigarettes ni de cigares) dans l'espace public, entre début mai et fin septembre, prétendument au nom du «véritable vivre ensemble».