Des Aveyronnais inquiets pour leur retraite, des éleveurs auvergnats exaspérés par l'«agri-bashing», des salariés du quotidien la Montagne et des chefs d'entreprise du Puy-de-Dôme interrogatifs sur les projets du gouvernement : à Rodez jeudi puis à Clermont-Ferrand vendredi, Emmanuel Macron était, selon la formule de son entourage, «en immersion» dans les territoires. Une pratique censée caractériser l'esprit de l'acte 2 du quinquennat, tout en «bienveillance» et en «proximité». Dans les deux villes préfectures, le chef de l'Etat a écouté (un peu) et expliqué (beaucoup) le sens de sa politique, assurant que celle-ci, à l'inverse de celle de ses prédécesseurs, avait l'ambition de construire pour «le long terme» plutôt que de se contenter de réformer pour le quinquennat. S'agissant des retraites, il prétend ainsi mettre sur la table «un projet de refondation du pacte de la Nation» comme «jamais dans l'histoire» il n'en aurait été lancé «en temps de paix». Comme il l'avait déjà montré au début de l'année, au sortir de la crise des gilets jaunes, dans ses séances de «grand débat» avec les maires, Macron raffole de cet exercice et résiste rarement à la tentation de faire durer le plaisir dans des réponses en forme d'autosatisfecit.
«On a l’impression d’empoisonner les gens»
Mais dans cette petite itinérance improvisée de deux jours - initialement programmé le 26 septembre, le débat de Rodez a dû être reporté au 3 octobre suite à la mort de Jacques Chirac - Macron s'est surtout employé à rassurer. D'abord les futurs retraités à qui il a expliqué que la mise en œuvre du futur «régime universel» serait encadrée de garanties censées le rendre finalement indolore pour la plupart des salariés. «Le niveau de vie des retraités ne doit pas être dégradé, il doit être le même et continuer à progresser» : tel est «l'engagement clair» pris par le chef de l'Etat devant quelque 500 personnes invités jeudi soir à Rodez par le groupe de presse la Dépêche.
Le lendemain matin, il s'est invité à Cournon-d'Auvergne, au sud-est de Clermont, dans les allées du Salon de l'élevage d'où deux députés marcheurs, Roland Lescure et Jean-Baptiste Moreau, avaient été expulsés jeudi par des éleveurs en colère. «La violence à l'égard de tout élu de la République, quelle que soit sa sensibilité politique, est inacceptable», a déclaré Macron, invitant les syndicats agricoles à «ne pas cautionner ces comportements-là». La colère des éleveurs? II s'est employé à démontrer qu'il la «respecte», parfois même qu'il la «partage». «La situation est difficile, je serai à vos côtés aujourd'hui et demain», a-t-il promis aux éleveurs qui l'ont appelé à l'aide, affirmant que le traité de libre-échange Ceta n'était pas la cause de leurs problèmes. «On a le sentiment que la société française ne veut plus de monde agricole», s'est exclamé l'un d'eux. «On est mal, c'est le matraquage qui est dur, on a l'impression d'empoisonner les gens», a crié un autre, effaré que «les gens ne veuillent plus manger de viande». «C'est pas vrai, les gens veulent manger de la viande», assure le président qui se dit exaspéré, lui aussi, par «l'agri-bashing».
Financer la construction d’abattoirs
La solution ? «Investir», a martelé Macron. Il somme les producteurs de s'organiser «pour ne plus dépendre des gros acheteurs», en l'occurrence le groupe Bigard qui fait la pluie et le beau temps et tire les prix vers le bas. Macron ajoute que l'Etat pourrait financer la construction d'abattoirs pour échapper à cette emprise : «C'est à nous de nous réorganiser, d'investir. […] On est des couillons nous-mêmes», a-t-il lancé, puis parle de «tirer les prix vers le haut» en partant à la conquête du marché chinois et du marché de la restauration: «Notre problème est que 70% de la viande qu'on mange dans les restaurants en France n'est pas française.»
Ce vendredi, Macron n'en avait pas fini avec ses messages d'affection et de volontarisme. Outre les éleveurs et leur viande, il tenait à faire savoir qu'il aimait aussi la presse régionale et ses journalistes… Dans le Polydome de Clermont-Ferrand, il s'est invité à la soirée à la célébration du centenaire de la Montagne, quotidien régional fondé le 4 octobre 1919. Il s'agissait, disait alors son fondateur Alexandre Varenne, de répondre à «l'impérieux besoin d'une démocratie nouvelle après l'ouragan de misères inouïes que vient de vivre notre pays».