Un vieux syndicaliste de Force ouvrière, blanchi sous le harnais du paritarisme et des nuits de négociations jusqu'au petit matin, avait coutume de dire qu'il n'aimait pas quand «un gouvernement prononce le mot de réforme. Il y a des chevaux de réforme que l'on envoie à l'abattoir. Quand les militaires parlent de réformer certains matériels, c'est qu'ils sont devenus trop vieux et bons à être envoyés à la casse». Le 12 septembre 1946, la loi sur l'assurance vieillesse était votée. Soixante-dix ans et des poussières après sa promulgation, cette loi qui avait pour ambition d'assurer des jours heureux aux vieux travailleurs, serait-elle devenue bonne à être mise au rebut ?
L'idée d'un régime de retraite pour tous les travailleurs figurait en toutes lettres dans la charte du Conseil national de la Résistance rédigée le 15 mars 1944. Elle stipulait qu'«un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'Etat», c'est-à-dire par les syndicats de salariés et représentants du patronat. Un texte issu des discussions entre les représentants des différents mouvements de résistance, élaboré par une vraie consultation nationale mais sans tintamarre celle-là, dans le plus grand secret entre quelques hommes.
Ambition
Son bilan ne se limite pas à la mise en place de la Sécu. Il modernise le droit du travail avec les comités d'entreprise, la médecine du travail et la réglementation des heures supplémentaires. Une œuvre sociale immense. Un an avant sa mort d'un cancer du poumon en 1951, il déclarait, à la tribune de l'Assemblée nationale, que «jamais nous ne tolérerons que ne soit renié un seul des avantages de la Sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès…».
Union nationale
Pour l'épauler dans cette tâche se trouve un techno, Pierre Laroque, alors jeune conseiller d'Etat, un grand échalas, long comme un jour sans pain. En 1941, il rejoint Londres et les Forces françaises libres. Trois ans plus tard, promu commandant et officier de liaison administratif, il débarque à Courseulles-sur-Mer, en Normandie, avec le général de Gaulle. Premier pas dans la remise en place de l'appareil d'Etat qu'il contribuera avec une poignée d'autres à redresser. Jeune étudiant en droit, il avait été l'un des premiers à suivre la mise en place du plan Beveridge, qui créait les assurances sociales britanniques. «A la Libération, Alexandre Parodi, alors délégué général du gouvernement provisoire de la République française, me convoque et me demande de prendre en charge la direction des assurances sociales. J'accepte à la condition de pouvoir mettre en place une véritable sécurité sociale. Parodi m'a répondu que c'est bien ainsi qu'il l'entendait», racontait-il en 1995, alors âgé de 87 ans.
Les marins de Colbert
En 1946, les débats à l'Assemblée nationale portent sur l'universalité de cette assurance retraite et déjà sur la remise en cause de «régimes spéciaux» dont la naissance remonte parfois à très loin. Le premier a ainsi vu le jour sous le règne de… Louis XIV. Colbert met en place un régime de retraite pour la marine royale afin de favoriser le recrutement des marins alors que la France lance ses navires sur les océans.
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