L'Etat s'est-il donné tous les moyens pour prendre en charge correctement les victimes de l'incendie de l'usine Lubrizol ? En façade, la préfecture de Seine-Maritime multiplie depuis des jours la publication de données rassurantes et les points presse, et trois ministres ont annoncé ce vendredi la création d'un «comité pour la transparence et le dialogue». Mais selon nos informations, en coulisses, le représentant de l'Etat dans le département s'oppose à la création d'une cellule de prise en charge des victimes, pourtant prévue par les textes en cas d'accident collectif. Depuis deux semaines, le préfet Pierre-André Durand laisse les communes et les associations en première ligne face aux inquiétudes des habitants et des potentielles victimes. Une situation qui renforce le risque d'arnaques en tout genre et la propagation de fausses rumeurs.
Guichet unique
La marche à suivre en pareil cas existe pourtant noir sur blanc. Elle a été adoptée par la déléguée interministérielle à l'aide aux victimes (Diav), Elisabeth Pelsez, dans un «guide méthodologique» actualisé en novembre 2017. Pour faire face à un accident collectif, l'Etat doit organiser un centre d'accueil des victimes, qui peut regrouper les différents acteurs : santé, assureurs, Sécurité sociale, barreau des avocats… Pour organiser cette cellule, la préfecture peut s'appuyer sur France Victimes, fédération financée par plusieurs ministères et regroupant 130 associations. «Nous nous sommes signalés dès les premiers jours pour mettre en place un tel guichet», regrette Jérôme Bertin, directeur général de France Victimes. Depuis, la préfecture n'a pas donné suite et s'est contentée seulement de mettre en place un soutien psychologique. «Nous attirons l'attention des autorités sur la nécessité de mettre en place un dispositif à la hauteur de l'événement», s'alarme aujourd'hui Bertin. En attendant mieux, la fédération a ouvert sa propre ligne d'information sur l'événement.
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L'attitude de la préfecture est d'autant plus incompréhensible que, côté judiciaire, le procureur de la République de Rouen a bien mis en œuvre la procédure prévue par la Diav. Une réquisition judiciaire a été envoyée à France Victimes, qui dispose de l'agrément du ministère de la Justice, pour l'associer au suivi des différentes plaintes. «Il ne faut pas que l'Etat pense que les événements concernent seulement les 130 plaignants, s'agace un bon connaisseur du dossier. On ne peut pas dire "il n'y a pas beaucoup de victimes" si on ne s'est pas donné les moyens de les recenser.»
Ce refus de la préfecture de créer un guichet unique a des conséquences très concrètes pour la prise en charge des habitants : les mairies se retrouvent parfois en première ligne sans avoir ni les informations ni les moyens pour faire face. «On a calculé que dans la semaine qui a suivi l'incendie, on a reçu 700 appels, indique Catherine Flavigny, maire de Mont-Saint-Aignan, commune limitrophe de Rouen. Des personnes se tournent vers nous mais nous n'avons pas une seule consigne sur la prise en charge des victimes de la part de la préfecture. Il y a des tonnes de questions qui restent sans réponse.»
Démarchages frauduleux
En l'absence de prise en charge organisée par l'Etat, les communes sont notamment confrontées ces derniers jours à des démarchages frauduleux. «Il y a des personnes qui cherchent à exploiter la situation avec de fausses entreprises de désamiantage, par exemple, et certains de nos habitants ont malheureusement déjà payé», poursuit Catherine Flavigny. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) vient d'ailleurs d'ouvrir une enquête.
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Contactés, les services de la Diav, rattachée au ministère de la Justice, renvoient la balle à la préfecture de Seine-Maritime, à qui revient la décision d'activer le plan de prise en charge. Pourquoi cette dernière n'a-t-elle pas mis en place une cellule d'accueil et d'information, comme l'a sollicité France Victimes depuis deux semaines et comme le prévoient les textes ? Le préfet considère-t-il réellement cet événement comme un accident collectif ? La préfecture, qui avait assuré nous apporter une réponse rapidement, n'a finalement pas donné suite. Pierre-André Durand aura peut-être l'occasion de répondre à ces questions lors de la première réunion, prévue ce vendredi, qui regroupe tous les acteurs du dossier pour la prise en charge des victimes.