Menu
Libération
Rouen

Lubrizol : les agriculteurs redoutent une «rupture» de la confiance

Incendie de l'usine Lubrizol à Rouendossier
Deux semaines après l'incendie de l'usine de lubrifiants, les quelque 3 000 exploitants touchés par les retombées de suies s'inquiètent des futures indemnisations et de leurs relations avec les consommateurs.
Le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, à la rencontre d'agriculteurs le 30 septembre à Bois-Guillaume, près de Rouen. (Photo Lou Benoist. AFP)
publié le 11 octobre 2019 à 18h11

Quinze jours après l'incendie de l'usine Lubrizol, les agriculteurs touchés par les retombées polluantes voient-ils le bout du tunnel ? Incertains quant à l'avenir de leurs productions depuis le sinistre du 26 septembre, les 3 139 exploitants affectés par les suies hydrocarburées commencent à obtenir des réponses à leurs angoisses. Ce vendredi, le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Didier Guillaume, s'est rendu à Rouen pour communiquer, au côté de la préfecture, un certain nombre d'informations au sujet du manque à gagner et de la reprise de l'activité.

Soumis à l'arrêt des machines et des récoltes par les arrêtés préfectoraux, les agriculteurs devraient connaître en début de semaine prochaine les conclusions définitives des analyses menées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Conclusions sur lesquelles le préfet Pierre-André Durand s'appuiera pour donner (ou non), «le jour même», son feu vert pour un redémarrage des exploitations, a-t-il promis. Autre renseignement communiqué : l'incident a bel et bien causé un préjudice financier considérable au monde agricole, estimé entre «40 et 50 millions d'euros de perte», dont 4 millions concernent les éleveurs laitiers – qui jettent actuellement 700 000 litres de lait par jour.

Selon le journal les Echos, un accord entre l'Etat et Lubrizol aurait été trouvé pour que l'entreprise indemnise les 453 producteurs de lait répartis dans les six départements concernés par le panache de fumée : Seine-Maritime, Somme, Oise, Aisne, Pas-de-Calais et Nord. L'entreprise aurait également le projet de créer un fonds de solidarité de 50 millions d'euros pour couvrir les pertes subies par l'ensemble des agriculteurs, mais aussi tout secteur non agricole victime des retombées.

«Sécuriser les consommateurs»

Laurence Sellos, la présidente de la chambre d'agriculture de Seine-Maritime, espère que ce fonds de solidarité – qui n'a pas fait l'objet d'une confirmation officielle – bénéficiera d'un «chiffrage plus précis», «après une remontée d'informations sur les conséquences pour les circuits courts». Même revendication du côté de Sylvain de Bosschere, responsable de la Coordination rurale dans le département. S'il salue le fait que Lubrizol veuille «assumer ses responsabilités», il espère que les «pertes actuelles mais aussi celles à venir» seront prises en compte.

Et Laurence Sellos de rappeler qu'un quart de la production agricole du département est écoulé en vente directe. Pour elle, les «traumatismes sur le terrain» sont nombreux : «Les agriculteurs ont été solidaires, ils n'ont pas hésité à appliquer le principe de précaution, mais pour eux, au-delà du manque à gagner, le fait de jeter sa production, c'est très douloureux.»

Outre les indemnisations, les professionnels espèrent la fin «progressive» des consignations, sur le lait bien entendu mais également pour les produits végétaux (maraîchage, dont le maïs, les betteraves et les pommes de terre). Mais pas question de crier victoire trop tôt, même en cas de levée des séquestres. «On veut que les analyses se poursuivent dans le temps pour sécuriser les consommateurs et rester garants de la sécurité alimentaire», glisse Sylvain de Bosschere. Jean-Claude Malo, de la Confédération paysanne, renchérit : «Les paysans sont des gens raisonnables. Bien sûr, ils sont impatients de reprendre leur travail, mais ils veulent d'abord être sûrs que tout danger pour le consommateur est écarté.»

«Rupture avec les consommateurs»

Car, à les entendre, les plaies sont encore à vif. Jean-Claude Malo regrette «l'improvisation» qui a marqué les deux dernières semaines : «On nous a d'abord annoncé un remboursement sous dix jours, puis c'était autre chose ; même topo en ce qui concerne les analyses toxicologiques. Parfois, on nous disait quelque chose en réunion et on découvrait une autre version sur BFM. Tout cela est très anxiogène.»

Sylvain de Bosschere n'hésite pas à évoquer une «rupture» avec les consommateurs en milieu urbain. «Certains maraîchers nous font part de recettes divisées par deux sur les marchés», soupire-t-il. Un alarmisme partagé par Jean-Claude Malo, qui décrit une situation «catastrophique» : «Même au sein des Amap [Association pour le maintien d'une agriculture paysanne, qui met en relation directe producteurs et consommateurs, ndlr], qui sont en théorie un lieu de confiance privilégiée entre les clients et les vendeurs, le nombre de paniers vendus est en baisse.»